jeudi 19 avril 2012

BOTANIQUE DU JAPON

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auteur : Michel Savatier EN VENTE PARTOUT.


L'OEILLET D'OLERON - LE LYS DU JAPON

L'HISTOIRE DE DEUX COUSINS CHARENTAIS DE LA SECONDE PARTIE DU XIX eme

SIÈCLE .

L'UN, ALEXANDRE SAVATIER FAISAIT UNE ÉTUDE DE LA FLORE CHARENTAISE,

L'AUTRE, LUDOVIC SAVATIER , MÉDECIN DE LA MARINE A ÉTABLI LA NOMENCLATURE

DE LA BOTANIQUE JAPONAISE. SON OEUVRE EST AU MUSÉUM D'HISTOIRE

NATURELLE DE PARIS : ELLE REPRÉSENTE 20 000 PLANCHES D'HERBIER, DONT

1800 ESPÈCES ALORS NOUVELLES. SON OEUVRE EST ÉGALEMENT IMPORTANTE EN

MINÉRALOGIE, EN ANTHROPOLOGIE, EN ORNITHOLOGIE ET NE SE LIMITE PAS AU JAPON : PATAGONIE, CHILI, PÉROU, TAHITI !

UN GRAND SAVANT MÉCONNU ! .... DEUX GRANDS SAVANTS MÉCONNUS !

lundi 27 août 2007

LUDOVIC SAVATIER BOTANISTE









Les racines familiales
et les années d'études
*














C'est le 28 octobre 1830 que naît, à Saint-Georges d'Oleron, Paul, Amédée, Ludovic Savatier. Plus exactement, il naît à Chéray, le bourg voisin de Saint-Georges, situé à l'ouest du chef-lieu de la commune. Les recherches entreprises jusqu'à maintenant n'ont pas permis de localiser la maison de ses parents et l'on ignore si elle existe encore. Traditionnellement, c'est le troisième prénom dans l'ordre de l'état-civil qui est le prénom usuel. L'enfant s'appelle donc Ludovic. C'est un prénom que l'on ne rencontre pas dans son ascendance et que l'on ne retrouvera pas dans sa descendance, jusqu'à nos jours. Dans la famille, on s'appelle, à quelques exceptions près, soit François, soit Pierre.


Ludovic est le fils de Pierre, Louis, Prosper Savatier ( 1795-1868 ) et de Jeanne, Ursule Bruneau ( 1797-1878 ). Il a eu deux soeurs, Angèle et Léontine ... Seule la première semble avoir vécu, elle est décédée en 1907.


Nous possédons une photographie que nous présumons être celle de Prosper Savatier,(L'invention de la photographie date de 1838). L'homme est incontestablement un notable contemporain de Louis-Philippe : Fatigué, âgé, sans doute rongé par la maladie, il porte fort bien l'habit, avec petit gilet et lavallière. Ses cheveux sont tout blancs et ses épais favoris le sont aussi. Il est "Propriétaire", comme on dit à l'époque. Il a été Secrétaire de Mairie, Huissier de Justice, puis Maire de Saint-Georges d'Oleron du 5.2.1843 au 2.10.1846, nommé à ces fonctions par Ordonnance Royale. La famille de son épouse est établie à La Jousselinière, entre Saint-Georges et le village de Sauzelle.
















Prosper Savatier était lui-même fils de Pierre Savatier, que les actes de l'état-civil définissent comme "bourgeois" et les actes notariés comme "marchand", domicilié à Chéray, né vers 1759 et décédé en 1830 et de Jeanne-Catherine Desgraves ( 1759-1830 ). Que pouvait vendre un marchand oleronnais à cette époque, si ce n'est du sel et du vin ? C'étaient là les deux ressources principales du pays. La famille Desgraves, elle, a laissé dans l'histoire de l'île d'Oleron le souvenir de plusieurs de ses enfants, tels Jean et Pierre Desgraves, qui furent, lors de la Révolution Française parmi les représentants des Oleronnais aux assemblées.


Pierre Savatier-Desgraves, après quatre filles mortes en bas-âge, avait eu pour fils François, Félix, Marie Savatier et Pierre, Louis, Prosper Savatier. Notons que Pierre Savatier fut, en 1791, le représentant de l'île d'Oleron à l'Assemblée Départementale. Il était aussi, en 1791, Officier Municipal de la Commune de Saint-Georges d'Oleron*.


Félix Savatier épousera Angélique Bruneau, la soeur de Jeanne-Ursule. Ils auront un fils, Alexandre ( 1824-1886 ), qui sera docteur en médecine à Beauvais-sur-Matha (Charente-Inférieure ), éminent botaniste et ornithologue. Les deux soeurs d'Alexandre, Odilie et Ludivine demeureront à Saint-Georges. Elles resteront célibataires. Alexandre Savatier est un personnage dont il faut retenir le nom car son cousin Ludovic restera en relation constante avec lui et on peut imaginer que leurs travaux scientifiques respectifs exerceront une influence les uns sur les autres. Alexandre Savatier est décédé à Beauvais-sur-Matha sans laisser de descendance.


On peut remonter l'arbre généalogique des Savatier : C'est en 1723 que l'on trouve mention, pour la première fois en Oleron, de deux frères, Pierre et François, qui épouseront à Saint-Georges deux soeurs, Catherine et Renée Rousselot. Seul François restera dans l'île d'Oleron, Pierre s'en ira en Charente, à Saint-Félix, près de Chalais où l'on retrouve des Savatier, propriétaires et marchands jusqu' à la fin du dix neuvième siècle.






* voir "L'île de la Liberté", Philippe Lafond (Rupella éditeur) et "L'île d'Oleron," Abbé Belliard, imprimerie A. Barbault, Marennes,1929.








C'est en Charente que l'on retrouve la souche de la famille, à Pillac et à Bellon, arrondissement de Barbezieux, canton d'Aubeterre-sur-Dronne. Cette localisation de l'origine de la famille n'est pas sans intérêt : C'est au séminaire de Montlieu, puis à l'institution ecclésiastique de Pons que le jeune Ludovic Savatier fera ses études. Son cousin Alexandre était, lui-aussi, passé à Pons . C'est sans doute là qu'ils ont contracté trois virus qui orienteront tout le reste de leur vie : Celui de l'ornythologie, celui de la botanique et celui de la médecine ... Peut-être y avait-il à l'institution de Pons un excellent pédagogue en sciences de l'homme et de la nature ? ...


Alexandre ira préparer ses diplomes de médecin à Montpellier, Ludovic entrera à l'École de Santé Navale de Rochefort.
Ludovic est bachelier ès lettres. Il est admis sur concours à l'École de Santé Navale de Rochefort. C'est le 1er. octobre 1849 ( Il a donc dix neuf ans ) qu'il signe le régistre d'inscription, cautionné par M. Braud, Maître de Pension*. La plupart de ses condisciples sont également bacheliers ès lettres, ce qui explique peut-être la qualité et l'abondance des écrits laissés par les membres du corps des médecins de Marine de l'époque (Quoy, Gaudichaud, les deux Lesson, pour ne nommer que des Charentais...) En tout cas, Ludovic a du goût pour les lettres : On lui présente le cahier sur lequel il est de tradition que chaque nouvel inscrit à l'École écrive quelques lignes ... Il laisse, lui, un poème, d'une belle écriture, serrée et régulière :


" L'astre roi se levait, calme, à l'abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d'or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre;
Et dans le ciel d'azur, et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au devant l'un de l'autre."


... On retrouvera ce goût de la mer, ce goût de la nature, ce goût des horizons, ce goût de l'écriture et du beau langage ...




* ref. archives du Service Historique de la Marine, de Rochefort., documents cotés 4F2/15 et E 1724.






















Commence alors pour Ludovic "cette longue suite d'examens et de concours qui assurait au médecin de Marine une indépendance enviable, en lui permettant de conquérir tous ses grades dans des luttes publiques et courtoises ..." ( Docteur Henri Bourru ) En 1851 il est nommé élève-interne en chirurgie. Au bout de trois années d'études, il est nommé, le sept juin 1852, Chirurgien de troisième classe, à la suite de la proclamation des résultats du concours ouvert le 6 avril de la même année. Il est de ceux qui ne s'attarderont guère dans les ports français ...




























*




























-II-




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Campagne à la Martinique
et Guerre de Crimée


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Il embarque le 28 septembre 1852* ( Il a vingt deux ans ) sur le trois-mâts l'Abeille à destination de la Martinique. Le vingt neuf janvier, il est embarqué à bord de la Frégate la Sybille, navire stationnaire des Antilles. Atteint par la fièvre jaune il débarque à Brest le sept septembre 1853. Il est en mauvais état de santé.


Une proposition de congé de convalescence est faite le neuf septembre, mais en fait, dès le dix neuf du même mois, il est affecté à l'Hôpital Maritime de Rochefort. Le trente et un décembre 1853 il est dirigé sur Toulon. Il embarque le treize janvier 1854 sur la Frégate à vapeur le Cacique, qui navigue en Méditerranée. Souvenons-nous qu'en 1854, Napoléon III a fait entrer la France dans une coalition qui va conduire à la Guerre de Crimée, contre l'Empire Russe et aux côtés de l'Angleterre, de la Turquie et du Piémont. Ludovic Savatier est transbordé sur le Vaisseau mixte à hélice le Charlemagne**. Il navigue en mer Noire, dont deux mois et neuf jours à la guerre, sans doute devant Sébastopol. Il est à nouveau atteint par des fièvres intermittentes et, pour cette raison, il est rapatrié à Toulon par la Frégate la Pandore. Il y débarque le trente mai 1854 et rejoint Rochefort.




* Archives du Service Historique de la Marine, à Rochefort
** Le Charlemagne était l'un des tout premiers navires à vapeur.


















En congé de convalescence dans sa famille, dans l'île d'Oleron, il s'y trouve lorsque l'île connaît une violente épidémie de choléra ... Il prend part à la lutte contre ce fléau et sa belle conduite lui vaut une lettre de satisfaction du Préfet de la Charente-Maritime, en date du huit novembre 1854. Le Ministre lui décernera également, pour les mêmes raisons, un témoignage de satisfaction, qu'accompagne une médaille de bronze frappée pour l'accasion. Il a vingt quatre ans. Il revient à Rochefort ...


































*
























-III-






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Campagne en Inde
Voyage en Guadeloupe


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Le dix novembre 1855 il est admis au grade de Chirurgien de deuxième classe et désigné pour servir en Inde où la France possède encore cinq "Comptoirs" : Yanaon, Mahé, Karikal, Chandernagor et Pondichéry. En avril 1856 il se trouve à l'Hôpital Maritime de Pondichéry, en juin de la même année, il est à Karikal, en juillet, à Pondichéry de nouveau, en août à Chandernagor ... En juillet 1857, il est affecté à Yanaon !




Ici intervient un intermède peu banal ( ce ne sera que le premier dans le genre ! ) ... Ludovic Savatier embarque le dix sept janvier 1859 sur la Junon, navire de commerce, pour la traversée de Pondichéry à ... Fort de France ! L'Empire Français a décidé de favoriser l'immigration aux Antilles de travailleurs indiens destinés aux travaux des plantations ... La Junon transporte ces émigrants qui iront compléter le peuplement de la Guadeloupe et de la Martinique.




Le deux août 1859, Ludovic Savatier, ayant apparemment accompli sa mission de façon satisfaisante reçoit du Ministre des Colonies un témoignage de satisfaction pour " le zèle intelligent avec lequel il s'est acquitté de ses fonctions de Délégué du Gouvernement à bord du navire la Junon, qui a transporté des émigrants de l'Inde à la Guadeloupe". Il retourne à l'Hôpital Maritime de Rochefort.














-IV-


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La Fonderie de Ruelle




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Deuxième mission peu banale : Il devient médecin du Fort Boyard, citadelle de pierre élevée entre les îles d'Oleron et d'Aix, dont la construction vient de s'achever. Il y restera moins d'un mois ... Le vingt six décembre 1859, il est détaché temporairement à la Fonderie de Ruelle, près d'Angoulême, où se fabriquent les canons de marine. Il revient donc dans cette région de l'Angoûmois où se trouvent les racines de sa famille. Il s'est rapproché de son cousin Alexandre, lequel exerce la médecine non loin de là, à Beauvais-sur-Matha. On peut supposer que les deux cousins parcourent ensemble les campagnes charentaises à la poursuite des plantes rares et des oiseaux ... Alexandre a commencé un herbier dont il poursuivra toute sa vie la confection : Cet herbier comprendra plus de trois mille espèces; seule une partie, celle qui réunit les plantes locales sera sauvée de la destruction et conservée au Muséum de la Rochelle. Une collection d'oiseaux naturalisés est également commencée, elle réunit tous les oiseaux de la région, mâles, femelles, oisillons, oeufs et nids. On ne sait pas ce qu'est devenue la collection ornithologique. Monsieur de Rochebrune s'intéresse de très près à ces travaux; ils resteront amis.














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-VI-


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Campagne de Chine




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Ludovic Savatier a trente et un ans. Le trente et un décembre 1861 il embarque sur le Tancrède, aviso à vapeur (76 hommes d'équipage, Commandant : Lieutenant de Vaisseau Julhiet ). Ce navire va naviguer dans les mers de Chine. Les Occidentaux, à cette époque, au terme d'affrontements militaires cherchent à se faire céder par l'Impératrice Cixi la souveraineté sur des ports déclarés ouverts.


Promu Chirurgien de Première classe le vingt deux novembre 1863 et maintenu sur le Tancrède, il continue à naviguer dans les mers d'Extrème-Orient : Saïgon, Hong-Kong, Amoy, Shang-Haï, Woo Sung, Ning-Pô, Yokohama ... Les Occidentaux veulent contraindre le Japon à s'ouvrir au commerce. Le navire sur lequel se trouve Ludovic Savatier est de ceux qui interviennent dans les combats de Shimonoseki (vingt juillet 1863) ... Un boulet tiré par les canons du prince Nagato traversera la cabine du Chirurgien !


Après une mission à Shang Haï, puis un détachement à l' "ambulance" de Ning Pô où un jeune Ingénieur, Léonce Verny construit des canonnières, Ludovic Savatier est pris en compte sur la Sémiramis, Frégate à vapeur (517 hommes d'équipage, Commandant Le Couriault du Quillot). Il s'agit du navire amiral de la flotte française dans les mers de Chine,(Amiral Jaurès, Jean, Louis, Charles). A bord de la Sémiramis, il retrouve Léonce Verny. La campagne de la Sémiramis le mènera à Woo Sung, Tché-Fou, Takou, Yokohama, Shimonoseki, Yeddo. Les navires français, alliés à ceux des Hollandais et à ceux des Britanniques forcent le passage et prennent Shimonoseki les cinq, six, sept et huit septembre . La Sémiramis jettera de nouveau l'ancre devant Yokohama puis se rendra à Nagasaki, Hong-Kong, Saïgon ...














Elle prendra ensuite la route de l'Europe et entrera dans le port de Rochefort le huit août 1865, après être passée par Batavia, Saint-Denis de la Réunion, Le Cap et la rade de l'île d'Aix ... On a un peu le vertige à l'énumération de ces escales ! Ludovic Savatier, lui, a quitté la Sémiramis au Cap et a embarqué sur le Britain, navire de commerce qui l'a ramené en France. Le dix neuf juillet 1865 il est affecté à l'Hôpital Maritime de Rochefort.






























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-VII-


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Mariage et départ pour le Japon.


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Il a trente cinq ans. En septembre 1865 il demande, comme le règlement le prévoit, et reçoit du Ministre, l'autorisation d'épouser Mademoiselle Lucie Roche, fille d'un Chef d'Escadron d'Artillerie de Marine*. La jeune mariée a tout juste dix huit ans. Elle le suivra sans crainte sans doute et ceci jusqu'au bout du monde ! ... Il est vrai qu'elle a déjà l'expérience des voyages puisqu'elle est née dans les îles du Cap Vert, au large du Sénégal ...


Au cours de la même année, et ceci sans interrompre son service, Ludovic Savatier présente à la Faculté de Médecine de Strasbourg une thèse** pour l'obtention du grade de Docteur en Médecine. En effet, l' École de Santé Navale délivrait des titres de Chirurgien de Marine; elle ne délivrait pas le grade de Docteur en Médecine.


L'année 1866 verra le début de ce qui reste la grande aventure de Ludovic Savatier : Le premier décembre 1865 il est désigné pour une mission pour laquelle le Ministère prononce son détachement et sa mise à disposition du Gouvernement Japonais. Il part au Japon avec sa jeune épouse ...






* Lequel terminera sa carrière comme Colonel.
** Thèse pour l'obtention du grade de docteur en Mèdecine : "Quelques considérations sur l'Enchondrome". L'enchondrome étant une tumeur des cartilages.










"Le gouvernement français envoyait au Japon une importante mission d'Ingénieurs et d'ouvriers pour établir un Arsenal Maritime à Yokoska, dans l'île de Nippon. A vrai dire, il ne s'agissait de rien de moins que de construire la flotte de guerre de cet Empire. C'est ainsi que Ludovic Savatier passa dix ans de sa vie
au service effectif du Japon, rendant en fait à la France un service éminent pour sa renommée et son influence à l'étranger" *.




Il faut se représenter ce que pouvait signifier pour ce jeune ménage, et en particulier pour la jeune épouse, un départ pour le Japon ... En 1866 , ce pays était encore fermé aux Européens et presque inconnu des savants. L'Empire était gouverné par le Shogun. Il y avait un double pouvoir central : Celui de l'Empereur (tennô) et de la Cour et celui du Shogun et de son gouvernement(bakufu), les célèbres samouraï portaient encore leurs armures et faisaient flotter leurs bannières au galop de leurs chevaux ...


Les Savatier allaient rester dix ans au Japon. C'est là-bas que naquirent leurs trois enfants, Louise d'abord, née le dix août 1866 à Yokohama, puis Léontine, née en 1868 à Yokoska et enfin Léon, né à Yokoska également, le vingt huit décembre 1873. Ludovic parcourt le pays autant qu'il le peut. Il est de plus en plus passionné par la botanique. Il recueille des plantes. Il déterminera dix huit cents espèces parmi lesquelles il en décrit plus de cent qui étaient entièrement nouvelles ou inconnues jusqu'à lui au Japon ...


"Les tentatives de travaux sur la flore japonaise, avaient été assez nombreuses, depuis le Suédois Thunberg et l'Anglais Banks, à la fin du siècle précédent, jusqu' au Hollandais Miquel et au Russe Masemiowicz, mais les travaux étaient encore bien incomplets et, du reste, au milieu des noms étrangers ne se trouvait aucun nom français"* ... Les fruits des travaux considérables de Ludovic Savatier sont rassemblés dans un magnifique herbier déposé au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris et dans plusieurs publications scientifiques dont la plus importante est Enumeratio plantarum in Japonia sponte crescentium, publié en 1879 avec la collaboration de Monsieur Adrien Franchet.


* Docteur Henri Bourru : Éloge funèbre de L. Savatier, in Annales de la Société de Géographie de Rochefort.






Cet ouvrage qui forme deux gros volumes a été entrepris pour répondre à la demande des botanistes japonais, désireux de faire concorder leurs descriptions avec les classifications européennes. Aussi, entre autres renseignements curieux, cet ouvrage renferme-t-il une synonymie en langue japonaise d'après le Sô mokou Zoussetz (traité de botanique) imprimé à Yeddo en 1856. Pour accompagner cet ouvrage, Ludovic Savatier avait fait dessiner et colorier par un artiste japonais de magnifiques planches qui demeureront hélas manuscrites. Un autre ouvrage, très original, dut donner beaucoup de travail : Il s'agit de la réimpression, faite à Yeddo, avec addition des noms scientifiques européens, de vingt volumes de planches de ce même ouvrage, Sô mokou Zoussetz.. Ludovic Savatier traduisit encore, avec l'aide de monsieur Stuba, interprète, un ancien traité de botanique : les livres du Kwa-Wi, qu'il fit éditer à Paris en 1873.


Notons que Monsieur Adrien Franchet, son correspondant, résidait en France à Cour-Cheverny où il était le collaborateur du Marquis de Vibraye, naturaliste.. La longueur des liaisons entre le Japon et la France ne rendait pas les travaux faciles et moins encore les échanges nécessaires au bon accomplissement des travaux scientifiques de classement et d'édition ... Notons que l'impression et l'édition des deux tomes de Enumeratio plantorum in Japonia ... se feront aux frais du Docteur Savatier : Lucie, son épouse, pensera à un certain moment que cela coûte bien cher ... et on la comprend ! Les échanges de lettres entre Ludovic Savatier et Adrien Franchet seront nombreux. Nous ne savons rien des lettres de Franchet, mais nous avons la chance que celles de Ludovic Savatier aient été conservées : Deux cents vingt et une lettres du Dr. Savatier à Franchet se trouvaient en 1938 aux archives du Service Historique de la Marine. Elles sont actuellement au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, où elles peuvent être consultées.


Ces deux cents vingt et une lettres constituent un trésor de renseignements sur les travaux scientifiques mais aussi sur le développement de la construction navale au Japon et sur l'évolution de cet Empire qui connaîtra , à partir de 1867 des bouleversements immenses, entraînant l'ouverture au monde occidental, la disparition des Shogun, l'arrivée au véritable pouvoir de l'Empereur, l'installation de la nouvelle capitale à Tokyo et ... la préparation de deux guerres qui eurent, à l'échelle mondiale, un retentissement énorme : celle que le Japon gagna contre la Chine en 1894-1895 et surtout celle que le Japon gagna en 1905 contre la Russie ...
* Dr. Henri Bourru, déjà cité.


On peut considérer à juste titre que ce sont les travaux des Français, et particulièrement ceux qui se poursuivirent à l' Arsenal de Yokoska, qui permirent au Japon de se doter d'une flotte de guerre moderne et de s'imposer parmi les grandes puissances.(voir aux éditions Flammarion : Christian Dedet :
"Les Fleurs d'Acier du Mikado".)


Mais peut-on mieux faire que de reprendre de larges extraits du document rédigé en 1938 par Jean Raoulx, fils de Louise Savatier et d'Aubin Raoulx ? Ce document est resté inédit. Il mériterait de voir le jour et nous indiquerons le titre que son auteur lui avait donné : "Les Français au Japon" avec, pour sous-titre : "La Création de l'Arsenal de Yokoska". Il a été rédigé après consultation de la correspondance de Ludovic Savatier à Adrien Franchet et après "d'heureuses trouvailles facilitées par l'aimable accueil des archivistes du Muséum et ceux de la Marine "*.


"_ A la fin de l'année 1863, les représentants des puissances européennes au Japon étaient l'objet d'une sollicitude tellement attentive de la part du gouvernement de Yedo (devenu Tokyo) qu'ils avaient dû se retirer à Yokohama, l'un des seuls ports alors ouverts aux Européens. Vers cette époque, l'Amiral Jaurès, commandant la Division navale des Mers de Chine et du Japon faisait part au Ministre de la Marine des difficultés qu'allait rencontrer le nouveau Ministre de France, Monsieur Léon Roches, pour être reçu à Yedo. Il sollicitait des instructions pour le cas où il lui deviendrait nécessaire, (ce sont ses propres termes), " d'exercer une pression au moyen des bâtiments de la Division". Il ne lui paraissait pas possible d'admettre que le représentant de la France se trouvât dans la bizarre situation des Ministres** de Suisse et d'Allemagne, rivés pendant des mois à Yokohama et déployant en vain les plus grands efforts pour être officiellement reçus. Mais cette situation se modifia heureusement par la suite : Tout d'abord, l'Amiral Jaurès, appuyé par notre Ministre, Monsieur de Bellecourt, avait su faire preuve de fermeté. Devant les incessantes tergiversations ds autorités japonaises qui prétendaient ne pouvoir répondre de l'ordre à Yokohama, il n'hésita pas à occuper cette ville. De plus, les excellents rapports existant entre nos troupes et le peuple japonais nous avaient acquis une grande influence.




* Voir in fine reférences Archives du Service Historique de la Marine à Vincennes et à Rochefort ( Caserne Martrou et Ancien Hôpital Maritime.)
** Ministres a ici le sens d'Ambassadeurs.






Ce ne fut, malgré tout, qu'après d'interminables pourparlers que notre Ministre fut reçu ainsi qu'il convenait. Son attitude ferme, résolue, conforme à la politique suivie par son prédécesseur, l'Amiral Jaurès, coupa court au discours long et diffus du Ministre des Affaires Étrangères, qui ne tendait à rien de moins qu'à démontrer la nécessité d'une évacuation immédiate de Yokohama.


Abondamment pourvu du nécessaire, le Japon vivait depuis plusieurs siècles dans un isolement volontaire, jalousement entretenu, au point que la construction des navires y était réglementée afin de ne permettre que le cabotage indispensable au commerce intérieur.


Les seigneurs japonais, ombrageux et fiers, conservateurs de traditions séculaires, ne toléraient, et encore à grand peine, que les commerçants susceptibles d'accroître leurs richesses ou, mieux, de leur fournir des armes destinées aussi bien à abattre un rival qu'à se défendre de ses attaques. Le progrès industriel était pour eux sans intérêt. Une seule préoccupation les animait : la guerre. Mortifiés d'avoir dû céder devant le témoignage d'une force prête à l'action, ils n'acceptaient pas encore d'avoir à traiter d'égal à égal avec les diplomates et les officiers. Certains voyaient dans la présence de ces étrangers un crime de lèse-patrie. C'est ainsi qu'un jour, alors que la foule se prosternait dans la poussière devant le cortège du puissant prince de Satzouma (Le principal compétiteur du Taïcoun* alors dépositaire du pouvoir exécutif ), quatre officiers anglais demeurés sur leurs montures furent molestés par la suite du Prince et gravement malmenés. L'un d'eux, le Commandant Richardson, fut tué.


La répétition d'incidents de ce genre avait failli provoquer un recours aux armes de la part des nations européennes. La victoire eût été relativement facile mais, selon les dires du Chef d'État-major de l'Amiral Jaurès, "on ne pouvait atteindre la noblesse dans ses châteaux invincibles sans brûler et dévaster une campagne riante et bien cultivée qui fait du Japon un de ces pays dont le seul aspect éloigne toute idée de guerre ... On arrive le coeur plein de vengeance et, devant soi, on ne trouve que la cordialité ... Involontairement, on se sent désarmé".






* Titre, qu'avait pris le Shogun dans ses relations avec les étrangers.








Aux termes d'un rapport de l'Amiral Jaurès,
"Le peuple japonais, avec une grande force physique pour se faire respecter, possède, dans le caractère, la plus grande gaieté et le plus grand enjouement. Aussi, depuis le commencement de notre occupation, n'avons-nous jamais eu le moindre ressentiment d'une nature quelconque. Le séjour de nos troupes à Yokohama n'offre aucun des inconvénients inhérents à une occupation militaire dans un pays étranger. Les rapports entre nos soldats et les indigènes diffèrent essentiellement de ceux entretenus avec les Chinois, gens d'une nature faible, craintive et dissimulée" ... Doués d'une étonnante faculté d'assimilation, les Japonais s'étaient mis sans surprise, presque sans maîtres, à utiliser des armes européennes, à manoeuvrer des bateaux à vapeur, matériels achetés à prix fort à des fournisseurs peu scrupuleux.


On imagine quelles pouvaient être les compétitions de tous ordres autour des marchés à passer pour de pareilles fournitures ... Les bateaux surtout, souvent usagés et camouflés pour la circonstance en bateaux de guerre, causèrent bien des déboirs à leurs acquéreurs ... De plus, faute de soins et d'études préalables, ils devenaient vite inutilisables. Aussi les dirigeants japonais contemplaient-ils d'un oeil d'envie les flottes étrangères mouillées en rade de Yokohama. L'insuffisance du matériel, la difficulté des réparations qui, par manque de moyens, ne pouvaient être effectuées qu'en Chine, joints au désir d'imiter les nations occidentales, firent germer chez les Japonais l'idée de réparer eux-mêmes puis, dans l'avenir, de se constituer une flotte avec leurs propres ressources.
A cette époque, et d'après l'Amiral Roze, le Taïcoun , sentant que toute tentative de faire abandonner le Japon aux étrangers resterait vaine, témoignait du désir d'avancer dans une voie nouvelle, bien que contraire aux traditions du pays. Il comprenait les avantages qui pouvaient résulter pour son gouvernement de ses relations avec les étrangers. Exécuteurs de la politique de leur maître, ses ministres tenaient à complaire aux représentants des nations. Parmi ceux-ci, celui de la France, pour ses qualités personnelles, l'energie et la droiture de son caractère, avait acquis une situation de premier plan. Ses conseils étaient réclamés souvent, même pour ce qui touchait aux affaires intérieures, aussi, dans ses relations, Monsieur Roches était-il tenu d'observer le tact le plus parfait pour ne pas éveiller la susceptibilité un peu ombrageuse de son collègue d'Angleterre.








L'influence française, d'où était exclue toute idée de conquête n'en était que plus sympathique aux Japonais qui "se sont ralliés aux idées nouvelles et dont on se garde de froisser l'amour-propre national fort développé dans ce pays" ...


Les Japonais s'ouvrirent de leur désir aux représentants français, et ce n'est pas un mince mérite de la part de l'Amiral Jaurès et de Monsieur Léon Roches que d'avoir su inspirer confiance aux autorités japonaises, confirmées dans une attitude rendue naturellement défiante à la suite de cruelles déceptions. Le principe de la création d'un arsenal au Japon fut adopté. L'Amiral Jaurès apportait au Japon toutes les garanties du succès : Quelques années auparavant, il avait pris la décision de faire connaître sur place quatre canonnières destinées à tenir tête aux pirates qui infestaient les bouches du Yang-Tsé-Kiang. Tout était à créer. Il fit venir de France Monsieur Verny, un jeune homme de vingt cinq ans, Ingénieur des Constructions Navales de Brest, et dont les débuts faisaient augurer favorablement de l'avenir ...


... Le site s'était imposé au choix de Monsieur Verny et avait été immédiatement adopté par les autorités japonaises ...
... Monsieur Verny et ses compagnons étaient les premiers étrangers autorisés à séjourner au Japon et à s'y fixer en dehors des trois villes officiellement ouvertes, ce qui n'allait pas sans risque à cette époque ... C'est en mars 1866 que commencèrent les travaux ... Le onze juillet 1866 Monsieur Verny s'installait à Yokoska avec le personnel qu'il avait amené avec lui. Parmi ceux-ci se trouvait son ami de Ning-Pô, le Docteur Savatier. Celui-ci, naturaliste distingué, s'était mis avec passion à étudier le monde nouveau qui s'ouvrait à ses recherches, hélas moins facilement qu'il l'aurait désiré :


_ " Vous voyez que je ne suis pas encore installé à Yokoska. Le navire qui m'apportait mon mobilier et ma bibliothèque n'est arrivé que depuis huit jours et nous sommes sous le coup de feu d'un aménagement définitif. En ce moment on coupe deux montagnes pour y établir notre arsenal. L'une d'elles a plus de trente mètres de hauteur; on n'y trouve que des couches d'argile. A des profondeurs variables on y trouve des troncs, des branches d'arbres difficiles à conserver. J'ai récolté la tête d'un animal qui me paraît se rapprocher du tapir, plus un fragment de colonne vertébrale de sept à huit mètres (sic) et un magnifique bois de cerf.












"L'organisation de mon jardin m'occupe beaucoup. Je n'ai trouvé qu'un jardin inculte, dont je veux faire un jardin d'acclimatation : Il est parfaitement placé pour cela. Je viens de recevoir, par ce courrier, quatre cent cinquante pieds d'arbres non connus au Japon; c'est une grosse affaire que de leur trouver un site et un terrain convenables..."


... Le Duc de Penthièvre, fils du Prince de Joinville fit à Yokoska une visite dont le récit, plein de verve, a été fait par Monsieur de Beauvoir dans son livre : " Pékin-Yédo-San-Francisco. " Le passage suivant nous apporte la preuve que Monsieur Verny avait su choisir des collaborateurs dignes de lui :


_" Nous voulions maintenant aller à Yokoska où se trouve une importante colonie française appelée par le Taïcoun pour y créer et diriger les travaux d'un Arsenal Maritime et des Chantiers de Construction. Quarante cinq ouvriers français sont les conducteurs de travaux de M. Verny. Cette petite colonie, demandée par le Taïcoun, cédée par la France, travaille avec ardeur au service de ses nouveaux patrons. Le village français est propre et coquet. Il a sa petite chapelle et son aumônier et, certes, là, nos compatriotes nous font honneur. "


Au cours de cette visite, le Duc de Penthièvre, qui possédait des connaissances fort étendues en Histoire Naturelle, s'était intéressé aux éléments de collection du Docteur Savatier. Les explorations que celui-ci avait entreprises au printemps avaient été fructueuses. Il avait remarqué un certain nombre d'arbustes inconnus en Europe et son herbier comptait déjà près de sept cents espèces, dont cinq cents envoyées en France.


Cependant, le service médical ne chômait guère. Le contact entre les Japonais et les machines européennes n'allait pas sans provoquer de nombreux accidents et beaucoup de blessés devaient avoir recours au Chirurgien. L'imprudence et l'insouciance des Japonais étaient un perpétuel danger ... au point qu'on avait dû renoncer à l'usage de la mine !
















La petite colonie, groupée autour de l'Arsenal en construction avait pris ses habitudes. Vivant en contact fréquent, les familles venues de France et les familles japonaises s'entendaient à merveille et ce n'est pas l'un des faits les moins attachants de la création de Yokoska que leur contact dans le travail comme dans la vie quotidienne. Les habitudes d'existence totalement différentes étaient dans chaque ménage un sujet d'étonnement amusé. Les premières curiosités satisfaites, un terrain d'entente fut trouvé, d'où germa peu à peu une profonde estime réciproque. C'était, dans chaque famille, l'attachement au foyer, la joie de voir grandir les enfants, les soins de "La Maison". Suivant les conditions sociales les affinités se précisaient et l'accueil réservé par les charmantes françaises, reines dans leurs villas, est demeuré chez leurs hôtes un souvenir ineffaçable. Pour les Français débarquant au Japon, Yokoska était véritablement un coin de leur patrie. Dans chaque foyer les enfants grandissaient* et, à l'éducation raffinée des petits français s'ajoutait la joyeuse liberté dont jouissent les bébés japonais ... Dans ce pays facile, une nombreuse domesticité, adroite et confiante, entourait chaque maîtresse de maison : La génération élevée au Japon dans sa première enfance se souvient toujours, à travers les vicissitudes de l'existence, du cadre aimable dont elle fut la joie.** Chaque Japonaise, aussi humble soit-elle, sait, à peu de frais, d'un bout de soie, d'un pli d'étoffe ou d'un léger papier souple faire naître une foule de riens, monde merveilleux aux yeux des tout-petits.


Comme bien l'on pense, à Yokoska, les fastes de l'Arsenal venaient s'insérer au calendrier local : l'arrivée de tel navire, la visite de tel personnage, l'inauguration d'un bassin, étaient autant de raisons d'illuminer et d'orner de girandoles navires et bâtiments. Et ce site aimable, tel que les belles photos admirablement composées et si bien conservées dûes à Monsieur Émile de Montgolfier nous permettent de l'imaginer, se prêtait à merveille à ces cérémonies : Les collines plantées de pins et de buissons de camélias où abondaient faisans dorés et renards se couvraient à la saison d'une neige de fleurs. Au loin le golfe de Yédo, la baie de Yokoska et ses criques offraient de tous les côtés des horizons sans fin aux reflets changeants.


* " Ma petite Louise commence à faire des phrases, mais seulement en Japonais ! C'est désolant pour nous !" ( Lettre du 26.6.1868).
** A l'âge de dix neuf ans, Léon Savatier, fils de Ludovic retournera à Yokohama. Il y restera trois années, employé par les Messageries Maritimes ( Archives de Yokohama)










Vivant en dehors du courant économique et politique, la petite colonie de Yokoska vit passer la crise de 1868*. Il n'est pas dans notre intention de conter ici ces évènements qui appartiennent à l'histoire. Nous nous contenterons de noter au passsage ce qui, dans les documents contemporains, se rapporte à la visite de l'Arsenal. C'est ainsi que le Docteur savatier écrit, le dix sept janvier 1868 :
_"La politique en France n'est pas brillante, me dites-vous. J'ai peu de peine à vous croire. Il est vrai que je suis peu homme de politique car je ne lis les journaux que lorsque je suis hors de France ... A vrai dire, cela m'est arrivé si souvent que je commence à en avoir déchiffré quelques-uns de toutes nuances et de toutes couleurs mais, à cette distance, il n'y a plus d'opinion politique : On se contente d'être Français ...


_" On insérera ici un extrait de la lettre expédiée le 15.10.1868 à M. Franchet. Elle apporte une analyse de situation peu courante à l'époque :


_ ... "Vous m'annoncez la nouvelle du martyre de cent cinquante Chrétiens à Nagasaki ! Je l'ignorais complètement! Je vois cependant journellement un missionnaire. je cours le monde depuis 1852, j'ai vu et beaucoup connu de missionnaires; je compte parmi eux de nombreux amis et, quoique je me croie un bon catholique, et un catholique pratiquant je suis souvent loin d'être du même avis que ces bons pères au sujet des moyens employés pour leur propagande. Il n'y a pas une nation européenne qui eût toléré huit jours ce que les Japonais feignent d'ignorer depuis des années à Nagasaki. Ce n'est pas dans les Annales de la Propagation de la Foi qu'il faut apprendre l'Histoire; on est souvent à côté, et l'imagination joue souvent un grand rôle dans la rédaction des articles : Les Lazaristes et les Soeurs de saint-Vincent-de-Paul, voila les vrais missionnaires, ceux-là font moins de bruit et plus de besogne, de bonne besogne, bien entendu."










* Début de l'ère Meiji, prise du pouvoir par l'Empereur Mutsu-hito, disparition des Shogun.










Au Japon, les choses ne vont guère mieux (Qu'en France ...) : Il y a toujours quelque révolution, quelque coup d'état sous roche. C'est ainsi que nous venons d'apprendre ces jours derniers que le Taïcoun venait d'abdiquer. Il est remplacé au pouvoir par son puissant adversaire, le Prince de Satzouma, fort ami des Anglais, et fort peu le nôtre. Il y a des troubles, des agitations dans tout le pays et Yokohama est gardé militairement. Pour nous, nous ne nous apercevons de rien et je pense que les affaires ne s'aggraveront jamais assez pour qu'on puisse arrêter les travaux de l'Arsenal ... J'aime à croire qu'il n'en sera pas ainsi et que, dans deux mois, je pourrai reprendre d'arrache-pied mes courses botaniques "...




Lettre à M. Franchet, le 11 mai 1867 :




_ ... " J'attends le printemps avec impatience pour courir les fleurs, les insectes et les papillons. En attendant le printemps, je chasse beaucoup et prépare mon jardin. Je viens de recevoir par ce courrier 450 pieds d'arbres non connus au Japon; c'est une grosse affaire que leur trouver un site et un terrain convenables.
" Pas de géologie à faire, toujours des argiles, des marnes ...
..." J'ai quelques arbres qui poussent bien , parmi ceux que j'ai reçus d'Europe, des oliviers, amandiers, pêchers, poiriers, cerisiers, abricotiers, pruniers me donnent de bons résultats. Je n'ai que deux ou trois chênes-lièges, hauts comme le petit doigt, sur les deux cents que j'ai reçus ..."


Lettre du 17. janvier.68 :


_ ..." C'est un vrai créve-coeur pour moi de penser que 500 espèces sont toujours sur la "Guerrière" (Frégate ayant à son bord les plantes ramenées par le Dr. Savatier et qui avait subi des avaries lors du passage d'un typhon) ... et qu'elles n'arriveront pas avant le mois de mai. je considère cela comme une campagne à recommencer. C'est dur, parce que j'ai pris beaucoup de peine l'été dernier et que je crains que mes occupations chirurgicales ne me laissent pas autant de loisirs que l'année précédente. Heureusement, j'ai un homme que j'ai un peu formé, je tâcherai de l'utiliser à des courses un peu lointaines ..."






... En même temps que se développait l'Arsenal de Yokoska, la Compagnie Générale Française de Navigation obtenait du Taïcoun un privilège pour l'exportation ...


Quelque temps plus tard, au beau milieu de tous les troubles du Japon en cette période, Ludovic Savatier écrit :


_" Nous avons changé de cocarde et arboré celle du Mikado*. Tous les officiers du Taïcoun employés à notre Arsenal ont cédé la place à ceux du Mikado. Grâce à ce mouvement, l'interprète avec lequel j'avais commencé la traduction d'un ouvrage de botanique est parti ... Ce que je redoute le plus, ce sont les intrigues des Anglais auprès du gouvernement nouveau pour se substituer tout simplement à nous.


A la fin de l'année 1868 les troubles politiques commencent à s'apaiser et les vainqueurs du sud (fervents du Mikado) se montrent d'aussi bonne composition avec les Européens que les gens du nord ... Peut-être sont-ils, même, de composition plus facile ... Je me mettrais volontiers des leurs s'ils n'étaient aussi fanatiques des Anglais ... Notre Ministre a un poste bien difficile. Son prédécesseur, Monsieur Roches, avait fait la pluie et le beau temps, tant qu'avait duré le Taïcoun et, à son départ ... Il n'y avait plus de Taïcoun !


Le Mikado laisse sa capitale pour venir s'installer à Yédo**. Les Européens ont été admis à voir défiler son cortège. J'ai d'abord regretté de n'avoir pu m'y rendre, mais j'ai été consolé par la déception de ceux qui s'étaient dérangés "***...


Plus loin, le Docteur Savatier écrit encore :
_ " J'ai dû vous dire, au commencement de mai, que nous avions de fréquents tremblements de terre ... Ce n'était rien : Nous avons depuis dansé sur un volcan. Il y a eu, du premier au vingt quatre mai, quatre vingt dix sept secousses de tremblements de terre. Il y en a eu vingt quatre le treize seulement, dont une des plus violentes qui, à deux heures et demi du matin a fait sortir tout le monde de son lit, mais n'a pas causé trop de ravages.


* Début de l'ère Meiji, prise du pouvoir par l'Empereur Mutsu-hito. Le dernier shogun, Yoshinobu, démissionne.
** Rebaptisé Tokyo pour l'occasion.
*** Ils n'avaient vu passer qu'un long cortège, dans la poussière et avaient dû se prosterner devant la chaise à porteur, fermée, de l'Empereur ... ( Rapport au Ministre de l'Amiral de Chaillé )








1870 est l'année terrible pour le Second Empire et la France, dès le 15 janvier 1869, Ludovic Savatier sentait venir les choses :


_ ..." Vous me parlez d'inquiétudes à notre sujet. hélas ! Mon bon ami, nous sommes plus tranquilles qu'en France ... Ce n'est pas pour moi que je dis cela, hélas ! C'est pour mon pauvre pays. Je suis bien l'homme le plus pacifique et le moins révolutionnaire qu'il y ait au monde. je suis allé bien des fois au feu; j'ai vu de trop près la guerre pour ne pas la maudire ! Hé bien, j'ai peur pour mon pays, dans un avenir peu éloigné, je rage contre ces faiseurs de zèle qui poussent le gouvernement à faire des sottises ... Il n'y a que des institutions plus libérales qui puissent reculer le mal, mais on répond toujours ceci : " Nous ne vous permettrons d'aller vous baigner que lorsque vous saurez nager !"


Lettre à M. Franchet, le 25.10.1870


_ ..." Quand donc nous arriveront de bonnes nouvelles ? Nous sommes ahuris par tous les désastres et les malheurs de notre pauve France et, pour ma part, je ne tiens plus en place. Je voudrais m'en aller. J'ai honte de ne pas pouvoir contribuer, dans la limite de mes forces, à la défense de mon pays. C'est quand on est loin qu'on ressent beaucoup plus l'humiliation de la patrie ..."


















*


















... Tandis que l'Arsenal s'élevait, Ludovic Savatier pouvait écrire, le vingt sept novembre 1871 :


_"Voici les Japonais qui se lancent tout à fait. Il y a quelques jours, le Mikado, invisible pendant des siècles, donnait des audiences aux Ministres européens et à plusieurs autres personnages, entre autres à monsieur Verny. Bien mieux : sa Majesté est annoncée dans quelques jours à Yokoska où elle vient, de sa main céleste, poser la première pierre de notre second bassin ... Au lieu de pousser les Japonais en avant, il est fort probable qu'il faudra bientôt les empêcher d'aller trop vite ! ... Tous les Ministres de Yédo ont adopté et rendu obligatoire le costume européen, ce n'est pas ce qu'ils ont fait de mieux, mais c'est une preuve de leur désir de faire comme nous ... Il y a une école de médecine à Yédo, elle est entre les mains des Prussiens !


Et le vingt cinq décembre :


_" Nous attendons, la semaine prochaine, la visite du Mikado ... Vous ne pouvez vous figurer la transformation que subit le Japon depuis deux ans. Ces gens-là marchent plus vite que nous ne l'avons fait depuis deux cents ans ! ... Dans vingt ans on aura plus de raisons d'être fier d'être Japonais qu'Européen ! C'est à n'y pas croire, ce que nous voyons !


_ Du mois de mars au mois de décembre 1872, Ludovic Savatier est en permission en France avec sa famille. Ses déplacements à Rochefort et à Saint-Georges d'Oleron lui permettent de revoir sa mère et ses oncles. Ses séjours à Paris sont consacrés à un projet d'installation d'un Muséum d'Histoire Naturelle à Tokyo, pour lequel le gouvernement japonais voudrait bien, paraît-il, obtenir le concours des savants français. Monsieur Thiers lui-même est saisi du projet. Il ne semble pas, pourtant, que celui-ci se réalise, tout au moins en ce qui concerne la participation française.




















Le Docteur écrit, le 2.2.1873 , alors qu'il vient de retrouver sa maison de Yokoska :


_ ... " Les Japonais travaillent à leur Muséum. Il a été décrété pendant mon absence. Il n'y a pas encore d'Européen qui y soit attaché. J'ai agi de suite auprès de notre Chargé d'Affaires et je crois que, si on a tenu les promesses qu'on m'avait faites en France, de parler à l'Ambassade, la question du Muséum serait vite tranchée. Quant à présent, ce n'est pas dans le sens de l'Histoire Naturelle que les Japonais pensent à élargir mes attributions, c'est plutôt dans le sens de mes activités médicales proprement dites : Je me trouve avoir avec moi trois médecins japonais (Je n'avais jamais pu en avoir aucun), et la question d'un grand hôpital à Yokoska est décidée ... On attendait mon retour pour choisir l'emplacement et donner des indications nécessaires pour son édification. Cela me gênera un peu pour mes courses cet été. "


Et enfin, le sept janvier 1872:


_" Il vient de se passer à Yokoska un fait incroyable : Ce fait incroyable est la visite du Mikado, accompagné de sa cour et de douze navires de sa flotte, à l'Arsenal de Yokoska :
_" Sa Majesté nous est arrivée le premier janvier, elle a passé la soirée à visiter une partie de nos ateliers : les forges, la chaudronnerie, la fonderie et l'ajustage ... A neuf heures, visite de la corderie, voilerie, poulierie, charpentage, etc. ... Lancement d'un navire, sortie d'un navire du bassin, entrée d'un autre, déjeuner, réception officielle des officiers de l'Arsenal. Enfin, pose de la première pierre d'un second bassin, en présence du Mikado, par le Premier-Ministre de l'Empire ..."


Et voici une anecdote amusante, après cette suite de documents officiels au ton austère :


_"A ce moment l'une de mes fillettes a eu un succès fou. J'étais auprès du Mikado, au fond du bassin quand ma fillette, au milieu d'un silence profond, se met à crier : "Bonjour papa ! " ... Effet magique ! Tout le monde regarde en l'air et le premier Chambellan me demande quelle est cette enfant. De mon air le plus digne, je réponds : _"C'est ma fille." ... Et toutes les têtes se lèvent pour la regarder et me faire des compliments ... Vous pensez si je me suis épanoui !










"Le lendemain, évolutions navales de l'Escadre, tirs à boulets, etc. ... En somme, Sa Majesté et sa suite sont reparties fort satisfaites. Sa Majesté nous a envoyé, avec ses félicitations, de splendides étoffes de soie. "




*


Cependant, la politique, au Japon, marchait bon train et voici, de la correspondance du Docteur Savatier, un extrait qui jette un jour inattendu sur les rapports subtils qui peuvent exister entre la botanique et la politique intérieure :


_"Mes récoltes n'ont pas été aussi abondantes que je l'espérais : Nous avons une année remarquablemnt sèche jusqu'à ce jour. Pour peu que cela dure, le riz ne pourra pas pousser et ... gare, alors ! ... Il y aura une révolution au Japon ... Il y a beaucoup de mécontents. Ah ! Mon cher ! Quels radicaux que ces Nippons ! ... Les gens aujourd'hui au pouvoir sont de fiers communards ! ... Le Mikado demandait un palais, on le lui refuse ... Naturellement, le feu prend au sien et tout brûle ... On retient ce mois-ci demi-solde à tous les Japonais pour le palais du Mikado ... Le reste à l'avenant ... "


Le 27 mai 1873 :


_ ... " Il est question de la grosse affaire de notre bouquin (Énumeratio plantarum in Japonia) ... Vous me ruinez, mon cher, mais puisque le vin est tiré, il faut le boire ! Allez de l'avant ... Mais cinq mille francs, c'est raide ! J'écrirai par le prochain courrier français pour que votre crédit aille jusque là ... J'espère bien que Savy ( L'éditeur) ne sera pas si pressé d'argent que cela et que tout ne sera pas à payer avant l'achèvement complet du livre. "
_ ... " Monsieur de Butzow m'a dit que Tchononski recevait une subvention mensuelle du gouvernement Russe pour ses recherches au Japon ... De quel côté sont les sauvages, sinon en France ? "














Le 16 juin 1873 :
_ ..." On me dit, de France, que ma petite Louise est méconnaissable, tant elle est devenue forte et bien portante. Comme nous en parlons souvent, de cette pauvre fillette qui elle, se trouve fort bien en pension ! ... Ma femme rage bien un peu, parfois, de me voir donner tant de temps aux plantes ..."




Le 8 septembre 1873 :


_ ..." Vous me parlez de casques, de cuirasses, lances, etc. etc. du Japon achetées à Blois ... Sachez qu'il y a cinq ans ou six ans tout cela était encore en usage ici, tandis qu'aujourd'hui on ne se sert plus que de canons rayés et fusils aiguille. Le changement d'équipement a, comme chez nous, amené une grande baisse sur toutes les vieilles défroques ..."








*




... Le Mikado suivait avec un intérêt particulier le développement de l'Arsenal. Il revient le visiter en décembre 1873 :


_" Le deux décembre 1873 ... " Puis, qu'est-ce que nous apprenons ? _ Ce mois, le Mikado, l'Impératrice, cinq cents personnes de sa suite, dont cinquante dames d'honneur, arrivent ici pour y passer quelques jours ... Je fourbis mon claque, mon épée et mes décorations ... qui n'ont pas servi depuis la visite de Sa Majesté il y a deux ans "...


















Le 26 octobre 1873 :


_" Pour nous, nous avons vu leurs majestés japonaises le dix sept de ce mois, avec une grande partie de la Cour. Seules l'Impératrice et les Dames d'Honneur portaient le costume national, admirable du reste ... Le Mikado avait la tenue de Général de Division, moins les épaulettes; Les autres ne semblaient pas à leur aise avec leurs habits européens ...Tout s'est bien passé : On nous a donné le simulacre d'un combat naval. Le meilleur endroit pour le voir était la place que j'occupe en vous écrivant, à mon bureau, d'où j'embrasse toute la vue de Yédo ... A la suite de sa visite, Sa Majesté vient de m'envoyer une belle pièce de soie ...




Le 24 décembre 1873 :
_ ..." Remarquez que, même pendant les deux jours pendant lesquels j'ai pu vous préparer cet envoi, cela ne m'a pas empêché de couper un poignet, réduire une luxation complèter du coude en dehors, chose fort rare, et appliquer un bandage inamovible de la jambe, sans compter le train train habituel des maladies courantes. Ne vous imaginez point que je chôme beaucoup ici; il ne m'arrive jamais de passer une journée sans travail ... C'est le temps qui me manque et, bien des fois, je regrette que les jours n'aient pas quarante huit heures ! ... Je suis doué d'un fort tempérament, puisque je ne suis pas encore tombé malade !


Le 31 décembre 1873 :


_ ..." Pour moi, mon bon, j'ai déjà les miennes (mes étrennes), sous la forme d'un grand garçon arrivé en ce monde le 28 au matin. Monsieur Léon est sage pour son âge, il ne crie pas trop, dort bien et boit bien. Le jour de son baptême, je l'ai orné d'une fleur de réséda et d'une fleur de camélia pour lui apprendre de bonne heure que ce qui est le plus brillant n'est pas toujours ce qu'il y a de préférable ..."




Et, un peu plus tard, une réflexion d'ensemble quelque peu désabusée sur la politique au Japon :








Le deux février 1874 ...


_" Au Japon, révolution dans le sud. Vous expliquer la chose serait long mais, au fond, c'est comme partout ailleurs : Ce sont ceux qui ne sont pas aux affaires qui voudraient y être. Ceux qui y sont ne veulent pas s'en aller, donc pas de moyen de s'entendre et on se bat. Et vous ne croyez pas que l'homme est le plus sot animal qui soit sorti des mains du Créateur ?




Lettre du 28 janvier 1874 :


_ ..." Monsieur Léon, mon fils, est un enfant modèle de santé, de sagesse et de force. J'en ferai un petit paysan. Il a de larges et bonnes épaules pour cela. Je tâcherai de le faire vivre dans un pays où l'on ne fasse pas de politique ..."


... En 1875, le Directeur du matériel au Ministère de la Marine, l'Amiral Gervaize répond à son collègue du personnel, qui lui demandait son avis, très probablement à la suite d'interventions extérieures, d'ordre politique :


_" La mission à la tête de laquelle est placé Monsieur Verny est une mission civilisatrice, profitable à un peuple dont les inclinations sont heureusement tournées vers nous, profitable surtout à la France qui, grâce à elle, voit son influence s'établir et s'étendre au profit de ses intérêts politiques, commerciaux et industriels. Cette mission, les membres qui la composent l'ont remplie chaque jour à leur honneur et à celui du pays. Il serait regrettable que nous y missions nous-mêmes un terme et, si des difficultés politiques nouvelles doivent se présenter, les différents membres de la mission doivent être assurés qu'ils trouveront toujours près du gouvernement la sauvegarde complète de leurs intérêts. Il faut souhaiter que cette mission se prolonge pour l'intérêt du pays et la Marine, en particulier, doit se féliciter de patronner à l'étranger des officiers et des agents qui lui font honneur ..."


A Yokoska, le cinq mars 1875, l'oeuvre était consacrée par le lancement, en présence du Mikado, du premier navire de guerre construit à l'Arsenal entièrement ...














... Mais, pour la France, l'achèvement de Yokoska ne fut pas couronné par un succès diplomatique; la situation était bien changée à ce point de vue et le Docteur Savatier pouvait écrire :
_" La diplomatie de nos Ministres finira par triompher et le temps n'est pas éloigné où il ne restera plus beaucoup de Français au Japon. Je crains bien qu'avant deux ans tout ait passé aux mains des Anglais ou des Américains ... Et alors, les Ministres que nous aurons au Japon pourront se réjouir : Ils n'auront plus à s'occuper que d'eux-mêmes ! ... Cette opinion paraît bien en vue en France et depuis quelque temps la Marine nous traite fort mal à Yokoska. Nous en sommes à nous demander s'il nous reste longtemps avant de faire nos malles ..."




Lettre du 13.7.1874 :


_..." Les Anglais ont "orné" de mon nom la liste des membres de leur Société ... Ce que c'est que d'avoir des amis aimables ! ...


Lettre du 21 juin 1875 :


_ ..." J'arrive aujourd'hui même d'un endroit qu'on appelle le Fusiyama et dont vous avez peut-être entendu parler. J'ai trouvé pendant ces deux semaines qu'ont duré mon voyage plus de pluie et de poussière, n'ayant eu que deux jours sans eau, y compris celui pendant lequel j'ai grimpé en herborisant jusqu'à moitié route du volcan. J'ai fait treize heures de marche ce jour-là. J'ai attaqué le Fusiyama par le sud, cela m'a coûté une vingtaine de lieues dont les deux tiers à pieds sous une pluie atroce, et autant pour revenir ..."


Lettre du 10 août 1875


_..." J'ai examiné la note du libraire* et je la trouve énorme, surtout si je considère le petit nombre d'exemplaires qui seront vendus. Je ne suis pas riche, il s'en faut de beaucoup, et je trouve que c'est m'imposer un lourd sacrifice que de publier au même prix le second volume, surtout quand je n'aperçois aucune compensation, aucune satisfaction, en échange de tant de travail, d'ennuis et de dépenses d'argent ...


* M. Savy, éditeur.












" Nous avons 1700 espèces énumérées , cela revient à plus de deux francs par espèce ! Joignez à cela les déceptions de toutes sortes dont je ne vous ai que trop entretenu et vous n'aurez pas de peine à comprendre que les résultats obtenus me causent bien peu de satisfactions ... S'arrêter en route dans notre publication serait se montrer aussi peu soucieux des intérêts de la Science et de l'influence française ici que ceux qui ont pour devoir et mission de protéger l'un et l'autre et auxquels nous ne pouvons, à si bon droit que reprocher le peu de soucis qu'ils prennent de ces deux choses. Quoi qu'il m'en coûte, je ne veux point faire comme eux ...


... Depuis l'arrivée de la fin du premier volume* j'ai reçu nombre de lettres flatteuses d'Anglais et d'Allemands, Américains, voire même Italiens et Japonais. Le "Japan Weekly Mail", le journal le plus sérieux du Japon, publie un long article sur notre livre et notre modestie y est mise à rude épreuve ! Encore ce journal annonce-t-il un long article dans sa revue hebdomadaire pour faire ressortir l'importance et les grandes qualités de ce grand travail ! A côté de cela, pas un Français ( y compris notre Ministre ) n'a daigné me dire un mot de cette publication ..."


Lettre du 20 octobre 1875


_ ..." Caecum caxa finir : Oui, mon cher ami, c'est comme cela que vous commencez votre dernière lettre ... C'est comme cela que je commence la mienne ... Il y a une vingtaine d'années, le Chevalier Anacharsis de la Combe, un descendant des compagnons dans l'Inde ( Au temps où la France était une grande nation) ... Ce brave Chevalier me dit un jour : Finis coronus opat ! ... J'aime mieux cela ... A mon sourire, il ajouta : " Oh, vous croyez, Docteur, que parce qu'on n'est jamais allé en France, on ne connaît pas ses humanités ! _ "Cela n'a rien à voir, mon cher Chevalier !"
Les Italiens disent :"E finita la Musica". Moi, je vous dis très modestement : "Je fais mes malles et je m'embarque pour la France le dix huit janvier prochain. Cela veut dire que quatre semaines après l'arrivée de cette lettre, si le Ciel m'est propice, je serai sur le pavé de la Cannebière ! Si fate voluere ... J'ai brûlé mes vaisseaux "...


* Premier volume de "Énumeratio plantarum in Japonia "...








" Notre Chargé d'affaires m'a fait beaucoup de promesses ... Ce dont je lui sais beaucoup de gré, car ses prédécesseurs n'avaient fait que de me rire au nez quand je leur parlais de botanique ... Quand je leur parlais de botanique, je ne pouvais m'empêcher de penser, en voyant ce sourire stéréotypé de diplomate finassant, à cette charge de Gavarnie :


_" Dis donc, du Molet ... Course de botanique!
_" Qu'est-ce que c'est que çà, des Botaniques? "
_" On se moquerait bien de toi, au régiment, si on savait que tu prends un nom d'endroit pour un nom de bête !"


_..." Je rentre en France avec la ferme résolution de faire tous mes efforts pour me faire renvoyer en mission au Japon pour une saison d'été, afin de compléter mes récoltes botaniques dans le pays.




*




Quoi qu'il en soit, Monsieur Verny et Monsieur Savatier furent avisés que leurs services cesseraient à partir du mois de mars 1876 ... Une audience particulière fut accordée à Monsieur Verny ainsi qu'au Docteur Savatier, au cours de laquelle le Mikado les remercia en termes fort élogieux des services rendus par eux, chacun dans son domaine.






*












Les efforts patients du Docteur Savatier, poursuivis sans appui officiels et malgré les exigences du service, augmentées par les soins dévoués prodigués aux familles françaises, qui ne cessaient de s'accroître et à la population japonaise, lui avaient permis de recueillir près de mille huit cents espèces de plantes, dont un très grand nombre étaient inconnues en Europe et non décrites au Japon. Les plantes séchées par lui avec le plus grand soin sont actuellement à l'herbier du Muséum où elles comptent, nous a dit leur aimable conservateur, parmi les mieux conservées. Les botanistes japonais attachent une grand valeur à l'énumération des plantes du Japon publiée en collaboration avec Monsieur Franchet et aux feuilles de l'herbier du Docteur Savatier.


"L'un d'eux s'est déplacé "récemment" ( en 1938 ) pour étudier sur place cet herbier pendant quinze mois en France. Par ailleurs, nombre de plantes et arbustes du Japon acclimatés en France proviennent de ses premiers envois. La description des peines et des soucis que ces travaux ont coûté sortirait du cadre de ce récit. Ils constituent un bel exemple de persévérance".
La France ne reprit son rôle d'initiatrice que beaucoup plus tard, en 1883, date à laquelle l'Ingénieur Émile Bertin fut invité par le gouvernement japonais à diriger la mise en chantier des navires en acier, pour laquelle il s'était acquis une réputation mondiale. On renverra à ce sujet à l'ouvrage déjà cité, aux éditions Flammarion : "Les Fleurs d'Acier du Mikado", de Christian Dedet ...
Avant son départ pour le Japon, Émile Bertin fera deux visites : l'une à Paris,au Contre-Amiral Rieunier, Commandant la division Navale des Mers de Chine, l'autre au Docteur Ludovic Savatier, dans sa retraite de Saint-Georges d'Oleron:
_"A la différence de Rieunier, il se montra intarissable sur la gentillesse, sur la nature exquise d'un peuple qu'il avait si longtemps pratiqué. Une seule ombre au tableau, cependant, mis à part la question non résolue des anciens Samouraï sans maître : ... L'incroyable dose de réformes que l'on imposait à ces attachantes créatures ! Quel chemin parcouru en effet depuis que s'ouvraient devant les premiers visiteurs les portes des Sépultures, depuis que le Chirurgien-botaniste avait erré parmi les pagodes et sous les sombres galeries du temple d'Ouyéno ! ... Si l'on peut dire des Chinois qu'ils vont trop lentement, on peut craindre des japonais qu'ils marchent beaucoup trop vite *..."


* Christian Dedet, ouvrage cité.






On ne résistera pas à l'envie de faire revivre le Docteur Ludovic Savatier dans ses affections les plus chères : Sa fille aînée était, en 1874, en pension dans une institution religieuse de Saintes. Il lui écrivait:




"Ma Petite Louise Chérie,




Tu as été bien contente d'aller en vacances pour Pâques à St. Georges ? Je pense que tu t'y es bien amusée. As-tu vu tante Léonie en passant à Rochefort ? Nous nous portons tous bien, ton petit frère Léon est bien gros, bien sage et bien mignon; il ressemble à Tine San* quand elle était toute petite. Elle s'amuse beaucoup avec lui. Il y a longtemps qu'il a commencé à faire des risettes.


Léontine grandit beaucoup. Elle commence à lire et elle est un peu sage. Elle parle souvent de Louise et l'aime beaucoup, beaucoup.
Elle me dit qu'elle t'embrasse bien fort et qu'elle voudrait bien aller te voir, mais c'est trop loin ...


Le navire qui nous apportait les nouvelles de France, il y a quinze jours, a fait naufrage pas bien loin d'ici. Le pauvre Lucioni, qui t'aimait bien et qui était le père de ton petit filleul de Iokoska était à bord de ce bateau et il n'a pas pu se sauver. Nous en sommes bien tristes. Il n'y a eu que quatre personnes sur quatre vingt treize ...


Je t'ai bien dit que Monsieur Conil était allé en France. Je pense qu'il ira te voir. Sa petite fille, Amélie, fait sa Première-Communion cette année.


Es-tu toujours bien sage ? ... Chère petite Louise aimée, je pense que oui, puisque tu nous l'as bien promis, et tout le monde t'aimera bien. Je pense aussi que tu ne ronges plus tes ongles.


Monsieur et Madame Florent s'en vont en France par ce courrier, avec leur petite fille Marie, qui s'amusait bien avec Léontine quand elle venait à Iokoska ..Maintenant, Léontine joue beaucoup avec sa petite amie Françoise.


Adieu, chère petite Louise bien-aimée, pense bien à nous qui t'embrassons et t'aimons de tout notre coeur


Ton père qui t'aime de toutes ses forces.
Savatier.
d.m.
Tu diras à Bonne-Mère que maman et papa lui font leurs meilleurs compliments.
voilà les photographies de Léontine et de Léon. Tu demanderas qu'on les fasse coller sur du carton.


* Surnom, "japonisé" de sa soeur Léontine.












*






Notons qu'en reconnaissance de la qualité de ses travaux scientifiques Ludovic Savatier avait reçu la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur en décembre 1869. Il est promu Médecin Principal le quatre janvier 1876 et affecté à Paris pour achever ses publications scientifiques. Il quitte le Japon le dix huit janvier 1876 par le vapeur Menzaleh en direction de Marseille via Hong Kong, accompagné de son épouse; de deux enfants et d'une domestique*. De la fin février de la même année à la fin mai il bénéficie d'un congé, à passer à Saint Georges d'Oleron.








*








* c.F. L'écho du Japon, du 18 janvier 1876 ( archives de Yokohama).










*














On trouve copie de la traduction d'un document japonais provenant des archives de la famille Verny :




Discours adressé le 15 janvier de la neuvième année du Meiji par le personnel japonais de l'Arsenal à Monsieur le Docteur, qui était sur le point de rentrer dans sa patrie.
¬¬¬¬¬¬¬¬¬¬_______________________________


"Monsieur le Docteur du Gouvernement français, vous avez rempli votre tâche et maintenant vous êtes sur le point de rentrer dans votre patrie. Tous ceux qui vous doivent leur guérison, tous ceux qui vous ont consulté, tous, sans exception, le coeur serré et les larmes aux yeux, regrettent votre départ.


"La plupart des ouvriers et des journaliers de l'Arsenal qui vous doivent la guérison sont des pauvres habitants de notre arrondissement. Ils revivent grâce à votre merveilleux art qui ramène de la mort à la vie et nous ne saurions jamais assez vous en remercier.


"Vous avez rempli votre tâche et vous êtes sur le point de rentrer dans votre patrie. Je pense que les fonctionnaires de l'Arsenal vous adresseront chacun de beaux discours à l'occasion de votre départ mais, quant à nous qui sommes pauvres et ignorants, nous ne sommes pas à la hauteur pour faire un discours qui fasse honneur à votre départ. Mais nous tenons à vous remercier de la bienveillance avec laquelle vous avez fait ressuciter nos pauvres habitants et à vous témoigner notre parfaite reconnaissance. C'est dans ce seul but que nous vous adressons cet inhabile discours."




On mentionnera également l'éloge prononcé par l'Empereur du Japon lui-même _ (Ref. Y Takenaka, cité ci-dessous) :


" Vous exercez le métier de médecin et vous avez su étendre les bienfaits de votre art au-delà des limites de nos Chantiers Navals en vous portant au chevet de nos villageois ..."
















Un document d'origine japonaise appartenant aux archives de la famille Savatier précise encore :


" Témoin de la bataille navale du détroit de Shimonoseki opposant la marine japonaise de Choshu à la marine française, combat qui entraîna de nombreuses victimes du côté nippon, le Docteur Savatier se fit un devoir de réparer ce massacre en soignant les populations. Lorsque le gouvernement japonais voulut lui décerner une décoration honorifique de haut-rang*il se trouvait alors en Uruguay à bord de la Frégate La Magicienne.


On citera enfin, rédigées par M. Y. Takenaka, chercheur japonais, en 1997 dans la revue de l'Association pharmaceutique japonaise les appréciations suivantes :


"Enumeratio plantarum avait déjà été cité dans le Guide du Voyage au Japon, écrit par son contemporain Ernest Sato, sujet britannique et diplomate de son état. L'oeuvre du Docteur Savatier faisait autorité parmi les botanistes. Dans son livre L'Histoire Naturelle au Japon, Masuro Ueno déclara : " Monsieur Savatier exerçait la mèdecine mais était aussi spécialiste de botanique. En collaboration avec Monsieur Franchet, botaniste au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, il publia Enumeratio plantarum in Japonia crescentium. Cet ouvrage présente 2743 espèces de spermatophytes et 198 ptéridophytes. Cet ouvrage fut un outil précieux pour les chercheurs. Ce livre a été rédigé à la demande de botanistes japonais pour leur faciliter l'acquisition des connaissances. Y figurent les noms latins officiels, les noms japonais correspondants ainsi que plusieurs planches."
















* Plaque de Grand Officier du Mérite japonais.














Et, plus loin :


"La critique formulée par le Docteur Savatier à l'encontre de Kwa Wi porte sur sur les illustrations, à améliorer et un texte superficiel ... Quant à Honzon zufu, la qualité des illustrations de ses 1500 espèces est très inégale ...Sou moku Setsu emporte l'estime particulière du Docteur Savatier qui déclare :" Cet ouvrage est en tous points supérieur aux autres. Le regard porté est un regard scientifique ..."


Rapportons enfin , du document rédigé par M. Takenaka, les quelques lignes ci-dessous :


" Ito, le vieux botaniste japonais, vint faire ses adieux au médecin français et les deux hommes achevèrent la traduction de Enumeratio plantarum dans une auberge de Yokosuka jusqu'au bout de la nuit précédant le départ ..."






*




Le 13.3.1876 : ... " Je suis ici ( à St. Georges d'Oleron ) depuis lundi soir, avec mes deux fillettes. Vous ne pouvez imaginer la délicieuse journée que j'ai passée en voiture, lundi, avec mes deux chères fillettes. J'avais pris une calèche pour me rendre de Saintes à Marennes. Que de baisers, que de caresses, que de bonnes causeries! J'ai trouvé l'accueil le plus bienveillant à la Marine et beaucoup de gros bonnets disposés à faciliter mon retour au Japon."


*


Mais Ludovic Savatier ne retournera pas au Japon ! ... D'autant que son éditeur, Savy, fait tellement traîner les choses en longueur pour l'édition de Enumeratio platnarum in Japonia que le botaniste lui-même commence à se décourager :














_" Les retards de Savy, incapable de sortir le deuxième volume en temps voulu mettent la candidature pour le retour au Japon en mauvaise posture. J'en arrive à me demander comment je ferai pour me tirer d'affaires ... Je maudis le jour où j'ai commencé à cueillir des plantes japonaises ...
_" J'étais bien décidé à me mettre en campagne et faire tout ce qu'il fallait pour mener à bonne fin cette course botanique au Japon ! Mais je suis las d'avoir à lutter si souvent contre une semblable force d'inertie. Je m'arrête, moi-aussi. D'autres, plus heureux, feront dans un avenir prochain, j'espère ce qu'il m'eût été si facile de faire si j'avais pu trouver le moindre appui. La patience la plus robuste finit par s'user et la mienne, que je croyais solide pourtant, est fortement ébranlée ...


On sent bien, à la lecture des lettres conservées cette difficulté de réinsertion dans la vie de la Métropole, que ressentent la plupart de ceux qui ont longuement vécu à l'étranger :
_" La France n'est plus habitable qu'aux très grandes fortunes quand on a vécu longtemps à l'étranger ..."


Ludovic Savatier a quarante six ans, Lucie, son épouse n'en a que vingt neuf encore, Louise, la fille aînée, a dix ans, elle poursuit ses études à l'Institution de la Légion d'Honneur, où la rejoindra sa soeur Léontine, qui n'a que huit ans pour le moment, alors que Léon, le dernier de la fratrie est dans sa troisème année. Nous sommes le vingt huit mai 1876 le Docteur Ludovic Savatier est détaché en mission à Paris pour achever la publication de ses travaux scientifiques. Et puis ....














*










-VIII-




La Croisière de la Magicienne






Le vingt septembre 1876 :


_ " Avez-vous quelque commission pour les Açores, le Brésil, La Plata, le détroit de Magellan, la Patagonie, le Chili, le Pérou, l'Amérique Centrale, le Mexique, la Californie et la Polynésie ? Si je pars pour ce long voyage, le quinze octobre, vous voyez que je n'ai pas beaucoup de temps à perdre pour faire mes préparatifs et peut-être comprendrez vous pourquoi j'ai toujours eu hâte de voir résoudre un peu plus promptement la question de mon retour au Japon. On me demande de faire cette campagne où l'on doit s'occuper de Science, paraît-il et qui se fait sous les ordres d'un de nos Amiraux qui, par exception, s'intéresse aux Sciences Naturelles.
_ Avant de me prononcer, je tiens à savoir si j'ai des chances d'être renvoyé au Japon car, avec une Administration aussi embrouillée que la nôtre, mais que l'Europe nous envie, on ne peut compter sur rien. Je me suis donc mis en campagne pour savoir où en était cette fameuse question.


_ A l'Instruction Publique, je vais dans un bureau ... On me montre des papiers me concernant et une apostille à la demande de mission pour moi, faite par le Ministère de l'Intérieur ... Apostille conçue ainsi : " Ajourné faute de renseignements (16 juin) et depuis cette époque, on n'a pas eu, paraît-il, le temps d'en demander ... Sur mon étonnement qu'il ne soit pas fait mention de la demande du Muséum, on me répond :
_ " Oh ! Monsieur ! ... Le Muséum, cela regarde le bureau à côté, mais pas nous, parlez aux voisins ... Nous, nous n'en avons pas connaissance ! " _ Puis on ajoute : " En ce moment, tout le monde est en vacances, mais, si vous êtes pressé, le Muséum pourrait donner cette mission et la position serait régularisée ensuite ..."


















_ "Je prends une voiture et cours raconter mon histoire à Decaisne, qui me répond en riant : _ " Il ne faut pas s'étonner d'un tel imbroglio au Ministère de l'Instruction Publique : Ils n'en font jamais d'autre ! Assurément, le Muséum pourrait donner cette mission, mais, en ce moment, tout le monde est en vacances ... Il n'y a ici que Monsieur Chevreul et moi, et je pars moi-même après-demain. "
_ " Et voilà ! ... De tout ceci je conclus que nous n'avons affaire qu'à des bureaucrates qui n'ont aucun souci que telle ou telle chose aboutisse ou n'aboutisse pas. Demain je vais voir le bureau d'à côté , au Ministère de l'Instruction Publique et même le Ministre, s'il est à Paris et, aussitôt après, je me déciderai à accepter ou refuser la campagne du Pacifique et de l'Océanie.
_ " Vous voyez, mon bon Franchet, que tout n'est pas rose dans le métier mais, en somme, je crois qu'il vaudra beaucoup mieux pour moi et pour mon avenir de retourner franchement dans la Marine où je rendrai certainement moins de services à l'influence de mon pays qu'à faire de la botanique au Japon* "...




Le huit octobre 1876, le Docteur Ludovic Savatier est affecté au port de Brest, sur la Frégate la Victoire, pour effectuer une croisière dans le Pacifique et l'Océanie.






En fait, au tout dernier moment, la Frégate la Victoire s'avère trop vétuste pour faire un pareil voyage : Elle fait de l'eau. Ludovic Savatier transfère ses bagages sur une autre Frégate, toute neuve celle-là, la Magicienne, qui est le navire amiral de la flotte française du Pacifique. Nous possédons, extraits d'une revue américaine éditée à San Francisco les listes de l'État-major de la Magicienne : Elles comprennent les noms de trente sept officiers ... Le premier d'entre eux est l'Amiral Serre, Paul, commandant la Division du Pacifique, le second est M. d'Oncieu de la Bâtie, Chef d'État Major, le troisième est le Dr. Ludovic Savatier, Médecin principal de la Marine.




* Nous sommes en 1876. Mac Mahon est au pouvoir. C'est la 3eme République ...










Cette revue américaine publie les photographies de l'ensemble des trente sept officiers de cet État Major. Nous notons la présence de M. de Cessac Léon, chargé de mission scientifique. En fait, pour engager le Docteur savatier à accepter cet embarquement qui allait l'éloigner de sa famille pour une longue période, on lui avait fait miroiter la possibilité de poursuivre son oeuvre scientifique tout au long de cette croisière sur des rivages encore très mal explorés. Il écrit à Adrien Franchet :


_ " Il y a à bord des coquillards*, des gens à insectes et je compte laisser en grande partie la zoologie à mon second. "


Nous possédons deux gravures représentant la Magicienne. C'est un superbe navire à trois mâts. Sur l'une des deux photos, nous pouvons admirer tout le gréement et une partie de la voilure, qui est portée haute. C'est un vaiseau mixte. Il finit ses essais de machine le huit décembre. Il appareille le neuf.


Dans une lettre datée du douze novembre, on trouvait ces quelques lignes :


_ " Bureau me dit qu'il aimerait bien avoir un premier envoi de plantes du Japon, parce qu'il y aura, me dit-il, une réunion de professeurs du Muséum, et qu'il voudrait me faire donner le titre de Membre Correspondant ... Je suis persuadé que ce titre, inoffensif , me faciliterait beaucoup de choses auprès des naturalistes étrangers des deux Amériques et de l'Océanie ... "








*












* Familièrement : Collectionneurs de coquillages.












Le 24 décembre 1876, de Santiago (Iles du Cap Vert)




_ ... " J'ai passé les journées d'hier et d'aujourd'hui à courir la campagne; j'en suis revenu rôti à l'égal des herbes de la montagne et sans rapporter grand'chose; j'ai vu un baobab de dix mètres de circonférence, quelques mimosas ...


Le 18 janvier 1877, à Montévidéo




_ ... " Je vais pousser une pointe en chemin de fer à quelques lieues à l'intérieur, voir un peu de quoi se compose la végétation des pampas, puis, à la fin de la semaine, j'irai passer quelques jours à Buenos Ayres (sic), autre capitale d'une autre république, pour y visiter les collections anthropologiques et ethnologiques ... "


Le 14 mars 1877, à Valparaiso


_ ... " Mes amis Européens m'attendaient au Japon et j'apprends que les Japonais attendaient que nous ayons terminé notre livre* pour me redemander au Gouvernement français ...
_ ... " J'ai vu des Patagons, des Fuégiens, des Fuégiennes ... J'ai pris quelques mesures anthropologiques. Pendant les onze relâches faites en différents points je n'ai pas négligé les plantes et, malgré les pluies assez fréquentes, j'ai récolté plus de trois cents phanérogames et beaucoup de cryptogames. j'ai des espèces qui me paraissent bien singulières ... Quelques unes fort jolies.
_ ... " L'état du sol et des forêts* est tel qu'il est de toute impossibilité d'y pénétrer : On est enfoncé jusqu'à mi-corps dans des couches de mousses et d'humus. Mais quelles jolies fougères j'ai récoltées à profusion, sur les vieux troncs d'arbres surtout. puis, dans un lac d'eau douce j'ai récolté un magnifique isoëte ... Mon fusil m'accompagnait dans mes courses et j'ai tué bon nombre d'oiseaux , surtout d'oiseaux aquatiques ... J'en ai fait empailler quarante, des oies antarctiques, des oies magellaniques, des canards à roues, de tout cela mâle, femelle et petits.**


* Sur les rives du Canal de Magellan.
**A rapprocher de la façon dont Alexandre Savatier avait constitué ses propres collections ... Il avait la chance de pouvoir y ajouter les nids.








_ ... " A Lota, sur la côte d'Araucanie, où l'on exploite des mines de cuivre et de charbon, j'ai pris de beaux et variés échantillons de cuivre.


_ ... " Nous partons sous peu pour le Callao (Pérou) * On a découvert récemment à quelques lieues de Lima de riches et importantes sépultures d'Incas ... On y a commencé des fouilles. Je pense que nous en ferons quelques-unes pour notre compte ...


_ ... " J'ai bien peu de graines pour Decaisne ! mais j'ai des poignées de cheveux de Fuégiens et de Fuégiennes (Terre de Feu ) pour Hamy, Broca et Monsieur de Quatrefages ..."


En mer, sans date


_ ... " Je me suis mis en route pour aller jusqu'où va le Chemin de Fer Transandin, c'est à dire à une hauteur de 3600 mètres ... C'était trop haut pour moi !


_ ... " J'ai rapporté 230 espèces de ce voyage mais j'ai surtout posé de bons jalons pour mes récoltes de l'année prochaine ...
_ ... " Je me rendis à Ancon ... pour rejoindre M. de Cessac qui avait commencé des fouilles depuis une quinzaine. La construction du Chemin de Fer de Ancon a fait découvrir une immense nécropole qu'on suppose très ancienne puisque aucun auteur, même contemporain de la conquête du Pérou ne parle de l'existence d'une ville à Ancon ... Nous y avons récolté une quarantaine de squelettes entiers , nous avons pris en outre une centaine de crânes, environ quarante bassins et, depuis notre départ du Pérou, nous nous livrons à des mensurations de toute espèce sur ces ossements qui nous fourniront le sujet d'un travail sérieux car, à cela, nous pouvons joindre bon nombre de vêtements, étoffes, objets d'industrie, instruments de pêche, de tissage, de ménage, bijoux, parures, etc. ... Grâce à l'absence complète de pluie sur les côtes du Pérou, les momies déposées dans les sables desséchés et saturés de nitrates de potasse depuis des siècles se sont parfaitement conservées **...


* Nous possédons une gravure représentant la Magicienne dans la rade de Callao.
** Momies, squelettes et objets sont conservés dans les collections du Musée de l'Homme, au Palais de Chaillot.






De San Francisco, le 9 juin 1877


_ ... " Quand il y aura quelque chose à régler avec Savy ( pour l'Édition de Enumeratio plantarum ....), ayez la bonté de m'en informer directement ... Je vois que cela ennuie Madame Savatier de me voir toujours financer pour ce bouquin, maintenant surtout que je n'ai plus ma solde japonaise ..."


De Papeete, Tahiti, le 6 septembre 1877


_ ... " J'ai commencé à herboriser un peu. Le pays n'est pas riche et n'a guère que des espèces introduites et envahissantes ...
_ ... " Avant de venir à Tahiti, nous avons passé quelques jours aux Marquises, à Nuku Hiva ...


_ ... " Un soir, le fils de la reine, M. Stanislas était là avec sa femme ... Madame avait une robe barège noire et verte, un châle rouge et un beau chapeau de paille à fleurs ... Au bout de quelques instants de conversation ( car le fils de la Reine parle Français ), je lui offre un cigare, et un pour sa femme ... Il refuse : " Merci, mais Madame fume la pipe", et Madame sort de sa poche une pipe qu'elle bourre et fume bravement sur la dunette en écoutant la musique ... "


_ ..." Ce soir, mon ami, autre réception royale plus sérieuse ! L'État- Major Général de la Magicienne est convié a un dîner offert par la Reine Pomaré IV en son palais de Papeete ... En ma qualité de grand taote ( médecin ) , j'ai déjà mes entrées au palais et j'ai joué hier soir pendant une heure de la musique avec un des fils de la Reine et son épouse ... Mais quel charmant pays que Tahiti ! ...




De Tahiti, le 8 octobre 1877


_ ... " ici, nous venons de faire de la politique, et de la bonne je crois. Vous rirez bien quand je vous raconterai les détails de tout cela ... La vieille Reine Pomaré IV est morte le mois dernier, je l'avais vue la veille pendant une heure, très bien portante. Notre Amiral, sans laisser aux gens le temps de se retourner, a aussitôt fait reconnaître comme Roi son fils aîné et a évité toute la complication que l'on craignait ici depuis longtemps ..








De Tahiti, le 28 novembre 1877 :


_ ... " J'ai fait une tournée de l'île triomphale avec le nouveau Roi Pomaré V, son épouse, ses Ministres, l'Amiral, etc. Cela a duré huit jours puis nous sommes allés à Mooréa pendant trois jours ...


_ ... " J'ai quelque peu botanisé. j'ai encore 1100 espèces depuis mon départ de France, dont 300 de Tahiti !


De Valparaiso, le 30 janvier 1878 :




_ ... " J'ai dû vous raconter la mort de la pauvre Pomaré IV ... C'est à moi qu'est échu le soin de conserver son corps et je vous assure que cette opération n'a laissé rien à désirer ...


_ ... " J'ai une bonne collection de photos, dont certaines de Pomaré IV et Pomaré V avec autographes et dédicaces... "


_ ... " Il y a une dizaine de jours, prenant mon courage d'une main et la bride d'un cheval de l'autre, je me suis mis à courir la montagne. Après trois heures de course, nous arrivons dans une vallée dont le sol était sec. Je laisse le cheval pour mieux récolter. A mon retour le cheval avait pris la clef des champs ... Quand je le retrouve, il me regarde d'un air de dire : " Essaie de m'attraper" et le voilà qui pique un temps de galop ... J'étais tellement embarrassé et ennuyé de la perspective de faire cinq ou six heures de montagne pour arriver à Valparaiso ! ... J'ai heureusement trouvé une ferme sur ma route. Un homme s'est mis à cheval avec un lasso et une heure après, il revenait avec ma bête... J'ai eu cependant bien du mal à gagner la ville avec la nuit noire et sans une riche moisson ...


De Valparaiso, le 16 janvier 1878 :


_ ... " Nous venons de recevoir les instructions nécessaires pour l'observation du passage de Mercure sur le soleil le 6 mai. C'est à Payta, pays de sable au nord du Pérou et non point à l'île de Pâques comme il avait été dit au début que doit se faire cette observation ..."








_ ..." Tout va de travers dans cette maudite campagne et si la fin ressemble à ce qu'elle est depuis tantôt dix mois, je me ronge les foies d'en avoir pour un an et plus avant de retourner en France et bien sûr qu'alors, j'enverrai à tous les diables le métier de la navigation à bord des navires de guerre ... "


_ ... " Enfin, à Tahiti, j'irai revoir mon ami Pomaré V et cela me rendra d'humeur moins chagrine ... En partant il m'a donné sa photographie avec cette note écrite derrière : " Je te donne ce portrait parce que j'ai beaucoup d'affection pour toi. Ne m'oublie pas car je penserai souvent à toi. " Il voudrait que j'aille m'installer à Tahiti et, pour me tenter, il m'a offert de me donner beaucoup de terres ... J'ai objecté la famille, mais il a levé la difficulté en m'offrant pour Monsieur Léon* la main de sa nièce et héritière présomptive ...! _ Et je n'ai pas accepté ? _ J'ai demandé à réfléchir ... J'ai peut-être eu tort ... Parce qu'avec tout le gâchis qui règne en France, mieux vaut encore Tahiti qu'un pays phillipo-démocrato- bonaparto, comme l'est devenu le nôtre ..."




15 octobre 1878


_ ... " Le guignon nous poursuit jusqu'à la fin de cette campagne : Au lieu de passer par le Japon et la Chine, comme nous nous y attendions, nous allons retourner par le détroit de Magellan ..."


4 décembre à Valparaiso


_ ... " C'est à Rochefort que nous allons désarmer. Je voudrais bien pouvoir y arriver avant les vacances de Pâques afin de pouvoir réunir tout mon monde autour de moi. Je suis fatigué de cette campagne et, depuis plus de quinze jours je ne lis et écris qu'avec beaucoup de difficultés ...


*


* Le fils de Ludovic Savatier.








Ainsi s'achève la collection des lettres de Ludovic Savatier. Nous aurions aimé pouvoir les retranscrire toutes. Nous en ajouterons une pourtant, charmante et appartenant à la collection de la famille _ De Tahiti, le 7 septembre 1877, il écrit à sa fille Louise, pensionnaire de l'Institution de la Légion d'Honneur à Saint Denis :






Ma bonne Louise chérie,






Je t'envoie la lettre d'invitation que j'ai reçue pour aller dîner hier au soir chez la bonne vieille Reine Pomaré IV. Le dîner a été très gai : il y avait toute la famille de la Reine dans le costume du pays, et une dizaine d'Officiers de la Frégate, c'est à dire l'Amiral et tout son État-Major Général. Comme figure et comme couleur, les habitants ressemblaient beaucoup aux Japonais. Comme eux ils aiment bien rire et s'amuser et ils sont très bons et très gais. Ils adorent la musique et la danse, et il y a de leurs danses qui sont très jolies.
La Reine et ses belles-filles ( Elle n'a que des garçons ) étaient vêtues de longues robes noires; quelques autres dames avaient des robes à l'européenne, mais presque toutes les dames du pays portaient cette longue robe sans taille, sans corset et d'une seule venue. la coiffure est un chapeau de paille très fine orné de fleurs. Les cheveux, qui sont admirables de longueur sont divisés en deux longues tresses qui retombent dans le dos, ou bien sont quelquefois enroulées autour de la tête, en forme de diadème. Les Tahitiennes aiment beaucoup les fleurs et en mettent dans leur chevelure, ou bien elles font des couronnes de fleurs odorantes dont elles entourent leur tête avec beaucoup de grâce.


A la fin du dîner on a un peu dansé dans le salon du Palais. La musique de la Magicienne jouait et toute la population de Papeete se trouvait dans la cour et dans les jardins de la Reine, jusqu'auprès des fenêtres ouvertes des appartements. Tout ce monde était là dans l'attitude la plus respectueuse et il n'y avait pas besoin, comme en France, de quelqu'un pour faire la police, parce que la Reine est adorée et respectée de ses sujets.


"Vers dix heures et demie, nous sommes tous partis puis, quand j'ai eu laissé à bord mon habit de grande tenue, qui est très chaud, je suis revenu à terre et je suis retourné au Palais. j'ai trouvé la Reine qui était sous sa vérandah avec ses trois belles-filles : Moké, Matoua et Joinville. Elles avaient laissé leurs costumes de soie, et surtout leurs chaussures, qu'elles ne portent que le plus rarement possible ( La Reine elle-même n'a jamais pu s'y habituer ). Là, elles écoutaient la musique et je suis resté plus d'une heure à causer avec elles, parce que je connais beaucoup le conseiller de la Reine, qui était avec moi, et la Reine m'a invité à aller souvent la voir.
Le onze il y aura à bord de notre Frégate un grand bal auquel doit assister toute la Cour.








"Avant d'arriver à Tahiti, nous avons passé par les îles Marquises, à Noukou Hiva. Là, il y a eu réception des Chefs à bord. Ils sont beaucoup moins civilisés qu'ici ( à Tahiti*) et ils ont des costumes très drôles. Le fils de la reine était venu à bord avec sa femme, pendant que les Canaques (sic), C'est ainsi qu'on appelle les habitants, chantaient et dansaient. La belle-fille de la Reine était sur la dunette. Elle avait une robe en grenadine verte, un beau châle rouge de quinze francs ( Il faisait une chaleur étouffante ...) et un grand chapeau couvert de rubans et de fleurs. Pas de bas ni de souliers. Comme j'offrais un cigare à son mari, je lui dis d'en prendre un pour sa femme, alors il me répondit : " Madame fume la pipe " et Madame sortit de sa poche une grosse pipe qu'elle remplit de tabac et fuma bravement en face de son peuple !


Après Noukou Hiva, nous sommes allés bien vite à Satou Hiva ( ou île Madeleine) : Un navire venait de se perdre, et nous avons sauvé tout le monde, mais rien du navire.


Nous allons passer ici deux mois, aussi j'ai pris une petite maison à terre, tout à fait au bord de la mer, et je vais souvent me promener dans la campagne qui est fort jolie.


Un cousin que j'ai rencontré ici a un cheval et une voiture, qu'il a mis à ma disposition. Je vais aller faire le tour de l'île. C'est un petit voyage de huit ou dix jours, que je ferai en récoltant des plantes pour mon herbier."




























*






















-IX-
Fin de carrière et Retraite *
Par Décret en date du 11 juillet 1880, le Docteur Ludovic Savatier est élevé à la dignité d'Officier de la Légion d'Honneur. D'abord affecté à Rochefort, il est promu Médecin-en-Chef le 1er août 1881. Il est ensuite affecté au port de Lorient, puis, de Bordeaux. Il rejoint en février 1882 une nouvelle affectation au Congo. Il est affecté, en mai 1883 au Sénégal. Là, sans moyens, assistant, impuissant, à l'impéritie qui laissait le Corps Médical sans ressources contre la fièvre jaune, il donne sa démission. Il était de retour à Rochefort le vingt et un mars 1883 et sera radié des contrôles le vingt huit septembre de la même année. Il se retira à Saint-Georges d'Oleron, gardant le contact avec le monde scientifique dans lequel son nom était connu et apprécié.
La "Revue Botanique" donne le récit d'une réception dans sa maison de Saint-Georges d'Oleron de la Société de Botanique de La Rochelle.
*


Le pêcher, le cerisier, le fraisier auraient été acclimatés par lui au Japon, alors que les belles fleurs ornementales, en particulier les lys tigrés et lys du Japon, si répandus aujourd'hui étaient acclimatés par lui en Europe ...




Lettre de Marseille, le 23 Mars 1872 :


_ ... " Vous trouverez, dans une petite boîte, trois bulbes de lys, soignez-les comme vos yeux : C'est une espèce fort belle, et nouvelle , elle est envoyée cette année pour la première fois en Europe. Si vous pouvez la cultiver en serre, vous serez peut-être le premier à la décrire, je vous recommande alors le nom de Lylium Krameri . J'ai du reste un dessin de la plante."




La revue de la Société Belge de Botanique donne la liste des roses identifiées par lui au Japon, dont plusieurs ont reçu le prénom de sa femme, Lucie. Cette liste est accompagnée du dessin des roses et des rosiers.














*












Ont été utilisés pour rédiger cette biographie :


_ Lettres du Docteur Savatier : 1866-1878 ... Dossiers du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris( Phanérogamie ) ... 221 lettres numérotées de 488 à 709, du 12 octobre 1866 de Yokoska (Japon) au 4 décembre 1878 de Valparaiso ( Chili ), sur la Frégate la Magicienne, adressées à Monsieur Adrien Franchet, collaborateur à Cour-Cheverny du Marquis de Vibray, naturaliste.
_ Archives du Service Historique de la Marine à Rochefort : Documents cotés 4F2/15 et E1724.
_ Archives du service Historique de la Marine ( Ancien Hôpital Maritime de Rochefort ) en ce qui concerne le Compte-rendu médical de la croisière de la Magicienne.
_ Archives personnelles de Michel Savatier, complétées par celles de Madame Madeleine Rossigneux. Michel Savatier et Madeleine Rossigneux descendant tous deux de Ludovic Savatier au troisième degré.
_ Publications en Japonais de Monsieur Takenaka, membre correspondant de l'Académie Nationale (Française) de Pharmacie dans la revue Japonaise de Pharmacie (1997 et 1998).
_ Annales de la Société de Géographie de Rochefort (Conférence donnée par le Docteur Ludovic Savatier le 18.02.1881 sur la fabrication du papier au Japon).
_ Annales de la Société de Géographie de Rochefort, tome XXXI, P. 89 (1909) Un article de Léon Savatier sur les moeurs et coutumes et actes d'état-civil au Japon.
_ Annales de la Société d'Histoire Naturelle de La Rochelle ( Muséum d'Histoire Naturelle de la Rochelle) en ce qui concerne Alexandre Savatier, cousin de Ludovic.








_ " Les Français au Japon", document inédit de Jean Raoulx, petit-fils de Ludovic Savatier (1938) : Larges extraits.
_ Album-souvenir des relations culturelles entre la France et le Japon, par Akira Mishibori, éditions Surugadai-Shuppansha, Tokyo. pour les photographies de Yokoska.
_ Collections personnelles de Madame Madeleine Rossigneux pour les photos de la Magicienne.
_ Bulletin de la Société Royale de Botanique de Belgique, en ce qui concerne les travaux de Ludovic Savatier et la désignation des roses identifiées au Japon, dédiées à Lucie Roche, épouse Savatier.
_ Herbier du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris (Phanérogames) : La totalité de l'herbier du Dr. Savatier.
_ Collections anthropologiques (Péruviennes et Fuégiennes, notamment) : Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Paris.
_ Collections d'objets japonais au Musée Guimet, à Paris, où se trouve notamment un herbier japonais peint au XVIIIeme siècle, rapporté par Ludovic Savatier et offert par ses descendants.
_ Herbier peint appartenant aux descendants de Ludovic Savatier.
_ L'Écho du Japon _ mardi 18 janvier 1876 _ Archives de la ville de Yokohama, communiqué par M. Takenaka.
_ Papiers de France _ État-civil ( diplomatie), Nantes.
_ Archives Nationales cl. BB4 869 _ Rapport du Contre-Amiral Roze, Cdt. la Division navale des Mers de Chine et du Japon. _ cl. BB4 1541, liasse II : Service Historique de la Marine _ Visite du Mikado à Yokosuka _ cl. BB4 1554-401-I-3 : Traduction de la lettre du Ministre des Affaires Étrangères japonais pour remise à disposition de la France de MM. Savatier et Verny. _ cl. BB 3880-84: Lettre du Ministre des Affaires Étrangères du Japon pour remercier le gouvernement français d'avoir mis à la disposition du Japon pendant douze ans des Ingénieurs et du personnel français de la Marine pour fonder le premier Arsenal naval japonais.
_ Collection de Madame Marie-Josée Andrieu-Castaigne en ce qui concerne les dessins des maisons de St. Georges d'Oleron.
_ Éditions Flammarion _ Christian Dedet : " Les Fleurs d'Acier du Mikado en ce qui concerne les suites de l'aventure de l'Arsenal de Yokoska ( Mission Émile Bertin).
_ Éditions Rupella _ Philippe Lafont : L'île de la Liberté, en ce qui concerne une partie des origines familiales.
_ Éditions A. Barbault ( Marennes 1929 ) _ Abbé Belliard: "L'île d'Oleron".












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REPERES


_ 1816-1877 : Le Japon est fermé aux étrangers,(sauf aux Chinois et aux Hollandais).
_ 1827 : Début du règne de Pomaré IV à Tahiti.
_ 1843 : Tahiti est placé sous protectorat français par l'Amiral Dupetit-Thouars.
_ 1854-1864 : Les Occidentaux interviennent militairement pour contraindre le Japon à l'ouverture.
_ 1866 : Installation de Léonce Verny et Ludovic Savatier à Yokoska pour la construction d'un Arsenal japonais.
_ 1876 : Retour en France de Léonce Verny et Ludovic Savatier.
_ 1876 : Embarquement de Ludovic Savatier sur la Magicienne.
_ 1877 : La Magicienne est à Tahiti.
_ 1877 : Décés de la Reine Pömaré IV de Tahiti.
_ 1879 : Retour de la Magicienne à Rochefort, avec L. Savatier à son bord.
_ 1880 : Tahiti devient Colonie Française.
Pierre Loti :"Le Mariage de Loti".
A. Lesson : "Les Polynésiens, leur origine"...
_ 1882 : L. Savatier, Médecin en Chef de la Marine est affecté au Congo.
_ 1883 : L. Savatier est affecté au Sénégal et démissionne.
Il prend sa retraite à St. Georges d'Oleron.
_ 1887 : Pierre Loti : Madame Chrisanthème.
_ 1891 : Décés de Ludovic Savatier à St. Georges d'Oleron.
_ 1903 : Victor Segalen à Tahiti.














PRÉSENTATION




Dès avant la première guerre mondiale, l'École de Santé Navale était transférée de Rochefort à Bordeaux. Néanmoins, pendant notre enfance et notre adolescence, nous avons connu des étudiants à l'École de Santé Navale de Rochefort-sur-Mer:
C'était encore là qu'ils préparaient leur première année.


Cette École a formé des kyrielles de Chirugiens de Marine, dont beaucoup sont restés célèbres par leurs récits de voyages, par leurs travaux scientifiques, par leurs oeuvres purement médicales. Les noms de quelques uns sont restés dans l'ombre malgré l'étendue de leurs travaux. C'est le cas de notre arrière grand-père, Ludovic Savatier. Nous ne l'avons pas connu. Nous n'avons même pas connu son fils Léon, mort jeune à Madagascar. Le portrait de l'aïeul était accroché dans un coin, dans la maison familiale. Il nous impressionnait : Tenue de Médecin-en-Chef de la Marine, boutons dorés, feuilles de chêne ornant les manches, épée au côté, bicorne sur la table voisine, croix d'Officier de la Légion d'Honneur. Il n'en faut pas plus pour éveiller la curiosité juvénile.


Avouons cependant que cette curiosité ne fut pas éveillée tout de suite : Ce n'est guère qu'après avoir reçu les visites de plusieurs chercheurs japonais que nous nous sommes mis nous-même en quête de renseignements et de documents : Comment se faisait-il que notre arrière grand-père fût aussi célèbre au Japon et qu'il demeurât inconnu, même dans sa région d'origine, la Charente ... naguère dite Inférieure ?


Au fond de la bibliothèque paternelle nous savions tous qu'il avait un bouquin en deux épais volumes et qu'il s'intitulait Enumeratrio plantarum in Japonia ... Nous n'avions pas étudié le Latin et le titre nous impressionnait d'autant plus. Nous savions que ce livre était l'oeuvre de notre arrière grand-père. Dans le même rayon de la bibliothèque, il y avait ... ( Nous le savions mais nous n'avions pas eu le droit d'y jeter un coup d'oeil ), les planches d'un herbier japonais peint. Il y avait aussi des paquets d'estampes japonaises ...






A Saint-Georges d'Oleron où nous passions nos vacances, s'élevait une belle maison bourgeoise que l'on appelait un peu pompeusement le "Château Savatier". Nous savions que c'était celle que notre aïeul avait fait construire pour y prendre sa retraite. Nous ne savions pas pourquoi ni comment cette maison n'appartenait plus à la famille ... Nous rêvions un peu de la racheter plus tard et de l'habiter à nouveau.


La fréquence des missions japonaises venant nous demander l'autorisation de consulter nos archives familiales finit par nous alerter et nous commençâmes à rassembler les documents dispersés: Jamais aucun chercheur français ne semblait s'être intéressé à Ludovic Savatier. Son nom ne figurait pas parmi ceux des savants et des voyageurs charentais.


L'amabilité des archivistes, et particulièrement ceux du Service Historique de la Marine à Rochefort ( Caserne Martrou et ancien Hôpital Maritime ), l'amitié de cousines et de cousins dont nous ignorions jusqu'à l'existence avant de nous mettre en recherche, nous ont permis de nous rendre compte de l'importance, à l'échelle de la Science internationale, de l'oeuvre de Ludovic Savatier, particulièrement en ce qui concerne la botanique à laquelle il consacra entièrement son existence. Nous avons essayé de le faire revivre un peu, grâce surtout à un ensemble de ses correspondances, dont deux cent vingt et une lettres adressées à M. Adrien Franchet, botaniste à Cour-Cheverny. Ces lettres sont actuellement conservées au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, dont Ludovic Savatier était membre correspondant.


Nous aurions aimé publier tout l'ensemble des ces deux cent vingt et une lettres, tant elles sont délicieuses de sensibilité, de poésie, de curiosité, de jugement, de bonté, de patience, de courage et de désintéressement. Nous souhaitons au moins, à travers ces quelques extraits, avoir fait apparaître quelque peu toutes les facettes de cette personnalité si attachante.


Arrivant à la fin de cette étude, nous avons envie de dire que nous sommes fiers de notre arrière grand-père !


Michel Savatier






















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D'OLERON
A YOKOHAMA
ET TAHITI




EN PASSANT PAR L'ÉCOLE
DE SANTÉ NAVALE DE ROCHEFORT


DOCTEUR LUDOVIC
SAVATIER


UN SAVANT VOYAGEUR